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LE CHEVALIER DE LA MORLIÈRE.

Je repris assez tristement le chemin de la rue du Plat-d’Étain. Depuis quelque temps je ne chantonnais plus ; j’avais presque perdu l’habitude de regarder les passants par-dessus l’épaule ; mon inadvertance était telle que, si j’eusse heurté quelqu’un, j’aurais été capable de lui dire : — Excusez-moi, monsieur.

Denise était étendue dans la bergère, comme je l’avais laissée le matin. Elle me sourit des yeux ; c’était tout ce qu’elle pouvait faire, car la faiblesse l’envahissait de toutes parts.

— Est-ce que Rondel n’est pas venu aujourd’hui ? demandai-je avec inquiétude.

— Si, murmura-t-elle.

J’allai à la cheminée et trouvai l’ordonnance sous un flambeau. Je la lus à voix basse : c’était, comme d’habitude, de la volaille, du vin de Bordeaux, des biscuits, avec des sirops pour le soir et des bouillons pour la matinée. Évidemment mon petit écu ne pouvait suffire à cette dépense ; un mouvement de mauvaise humeur m’échappa.

— Rondel se moque du monde ! dis-je entre mes dents.

— Qu’est-ce qu’il y a ? interrogea Denise, avec cet éternel sourire qui me déchirait.

— Rien, rien… répondis-je en pliant l’ordonnance et en la mettant dans ma poche.

Mais les malades ont une clairvoyance extrême. Elle lut dans mon geste, et, suivant la même filière d’idées que moi, elle arriva en même tempsà la même décision.

— Est-ce que vous n’allez pas ce soir à l’académie de la rue du Chaume ?