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OUBLIÉS ET LES DÉDAIGNÉS.

détour pour aller admirer le fameux Châtaignier des Gaules. Ils le connaissent de réputation, ce superbe châtaignier auprès duquel celui di cento cavalli, cité par tous les voyageurs, n’est pour ainsi dire qu’une frêle baguette. C’est par siècles qu’il compte son âge. Dans cette longue durée de temps, la foudre a voulu quelquefois l’attaquer, mais à peine a-t-elle pu en briser quelques branches. Voilà, du moins, comme i’Ann’quin Bredouille s’attend à le trouver : mais quelle est sa surprise en le voyant dépouillé de ses fruits, de ses feuilles, entamé dans toutes ses parties par les coups d’un nombre infini de cognées. « Courage ! crie Adule ; plus ce colosse vous résiste, plus vous aurez de gloire et de profit à l’abattre. » Madame Jer’nifle demeure comme pétrifiée ; ce n’est pas l’effet de l’étonnement, mais de l’indignation, que cause toujours l’ingratitude ; car elle a reconnu parmi les bûcherons qui attaquent cet arbre superbe beaucoup de ceux dont il a fait longtemps la ressource contre l’inclémence des saisons. — « Que d’autres, objecte-t-elle, vraiment persuadés de sa caducité, y aient porté la cognée, passe encore ; mais que ceux qui vivaient de ses fruits, qui trouvaient sous son immense ombrage un abri contre la chaleur, que ceux-là qui lui devaient tout, soient les plus acharnés à sa destruction, j’en suis révoltée ! »

i’Ann’quin Bredouille hoc lie la tête en signe d’assentiment. Adule se tait. Et c’est en proie aux réflexions les plus diverses que l’on poursuit son chemin. Mais une dernière surprise les attend presque au seuil de leur porte. On se rappelle ce temple qui portait sur son fronton les trois lettres LIB, et dont le peuple entier de Néomanie avait entrepris la con-