fatalité de ma destinée, qui rend inutiles pour moi seul les vertus de mon roi ! »
Le roi fit la sourde oreille.
Alors Linguet — dont la position n’était plus tenable en France — prit un parti héroïque : il s’expatria et passa en Angleterre. C’était sans doute tout ce que voulaient ses ennemis, mais, par son habileté brûlante, il devait les dérouter encore plus d’une fois.
La création des célèbres Annales politiques et littéraires le replaça en effet sur son piédestal. Le succès de cette entreprise, qui eut plusieurs contrefaçons à la fois, dépassa ses espérances et ses désirs. Loin de Paris, il put foudroyer à son aise ceux qui avaient tenté de l’anéantir ; il eut, lui aussi, ses vengeances et ses représailles ; elles furent poussées si loin, que le gouvernement anglais commença à s’en inquiéter. Quelques observations sur la législation britannique et sur les mœurs de Londres lui attirèrent des remontrances sévères. N’étant point porté de nature aux concessions et ne voulant point céder un pouce de terrain, surtout à l’étranger, il se détermina à repasser la mer pour aller établir en Suisse le siège de ses Annales.
À cette époque, il faut chercher dans les Mémoires de Bachaumont le bulletin des allées et venues de cet infatigable touriste, qu’on est souvent exposé à perdre de vue.
« 12 juin 1778. On commence à s’impatienter du silence de Me Linguet. Depuis son no 24 de la première année, rien ne paraît. Ses partisans même ne savent pas trop où il réside : on assure qu’on a délibéré à Genève si l’on y recevrait ce fugitif turbulent, et il a été arrêté que non. On le croit occupé à cher-