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lampe du salon et on avait débouché une antique bouteille de liqueur. Sans doute, on l’avait bien trouvé un peu gai, mais charmant, et il était parti, comme il l’avait prévu, couvert des remerciements de ces deux braves gens, — remerciements parmi lesquels reparaissait souvent cette phrase :

— Il ne fallait pas vous donner tant de peine !

Depuis ce dîner au Moulin-Rouge de Bordeaux, j’ai souvent revu Gil-Pérès à Paris, tantôt dans la rue, plus souvent au Palais-Royal, sur le théâtre de ses succès, où d’autres succès l’attendaient encore, mais plus rares, moins significatifs, moins éclatants. Le beau temps du Brésilien, de la Mariée du Mardi gras, de la Sensitive, semblait passé. Étaient-ce les créations qui lui manquaient ? Ou lui-même n’entrait-il plus avec autant de souplesse dans la peau des personnages ? Il paraissait terne ; fatigué. Il compromit le Prix Martin, d’Augier et Labiche ; il lâcha, au bout de quelques représentations, le Renard bleu, et les Trois Vitriers et d’autres pièces de diverse valeur, qui avaient le droit de compter sur lui.

Que se passait-il en Gil-Pérès ? On a cherché des causes à cet affaiblissement des facultés de l’artiste ; on en a trouvé quelques-unes de flatteuses pour l’homme. — Comme la plupart des acteurs bouffons (explique cette énigme qui pourra !) Gil-Pérès était aimé des femmes. Sa santé s’altéra, son service au théâtre devint irrégulier.

Cela ne faisait pas l’affaire des directeurs du Palais-Royal, qui voyaient avec une inquiétude croissante le moment où ils ne pourraient plus compter sur un de leurs chefs de troupe. Ils lui confièrent en dernier lieu la reprise du Mari de la dame de chœurs, où son