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petits mémoires littéraires

Ponsard, ce qui était à craindre ; il se tint dans la juste mesure. Il eut des réserves d’une cruauté ingénue. Il parut même, un instant, chercher à le justifier de son manque de lyrisme.

« Il n’avait, il est vrai, ni l’originalité saisissante ni la grande invention. Mais est-il bien certain que la muse n’ait plus rien à cueillir dans les sentiers connus ? Un penseur qui n’a jamais passé pour abuser des lieux communs, M. Joubert, en a parlé un jour comme s’il les aimait : « Ils sont, a-t-il dit, l’étoffe uniforme que, toujours et partout, l’esprit humain a besoin de mettre en œuvre quand il veut plaire. Il n y a pas de musique plus agréable que les variations des airs connus. » Si le vers de Ponsard n’a pas non plus l’éclat surabondant, le luxe d’images auxquels nous ont accoutumé nos maîtres contemporains, n’a-t-il pas en revanche toutes les qualités d’une langue sobre et sincère, ferme et nourrie ? »

Tout cela est bel et bon, mais comme on sent que M. Autran aurait préféré pouvoir dire : « Le vers de Ponsard a l’éclat surabondant et le luxe d’images…. Il fuit résolument les lieux communs… Ponsard avait la grande invention et l’originalité saisissantes ! »

M. Cuvillier-Fleury, qui répondit à M. Autran, ne se mit pas plus que lui en frais d’enthousiasme pour l’auteur d’Agnès de Méranie. Désireux pourtant de lui découvrir quelques qualités, il crut avoir fait une trouvaille en lui reconnaissant… la sincérité. « Vous ne l’avez peut-être pas assez relevée en lui, Monsieur, cette vertu de votre éminent devancier, qui est une des vôtres, et qui est de plus dans un écrivain un mérite tout à fait littéraire, la sincérité ! Que j’aime ce mot, et quel sujet de dissertation, si on avait le temps ! »