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petits mémoires littéraires

On s’arrêta devant une maison isolée, sans concierge ; Trapadoux tira de sa poche une clef qui rappelait par ses dimensions les clefs de la Bastille. On monta dans les ténèbres plusieurs étages, au bout desquels on arriva dans une chambre de modeste apparence.

— Tenez, couchez-vous là, dit Trapadoux à Baudelaire en lui désignant un lit en fer.

— Eh bien ! et vous ?

— Oh ! ne vous inquiétez pas de moi… couchez-vous, vous dis-je.

Baudelaire se jeta tout habillé sur l’unique lit, mais il ne s’endormit pas tout de suite. Il guettait du coin de Tœil les mouvements de son hôte, qui allait et venait dans la chambre, tantôt fumait une pipe et tantôt jouait avec des haltères menaçants.

Une heure s’écoula ainsi.

Lorsque Trapadoux crut Baudelaire endormi, il ouvrit une grande et haute armoire, dans laquelle il entra et disparut, et dont il referma la porte sur lui.

Baudelaire était resté stupéfait. Il s’attendait à le voir reparaître d’un instant à l’autre, mais inutilement. Alors, il supposa que cette armoire n’était qu’une porte dissimulée, donnant sur un autre corps de logis.

Il dormit mal et peu. Au point du jour, voulant éclaircir ses doutes, il appela Trapadoux à haute voix.

La porte de l’armoire s’ouvrit et montra Trapadoux assis sur une chaise, grave comme à son habitude. Il avait passé la nuit dans l’attitude d’un marchand de journaux dans son kiosque.

Un mot encore sur cet excentrique :

J’ai dit que nous ignorions son état, mais nous le soupçonnions véhémentement de littérature. Nous ne nous trompions pas.