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petits mémoires littéraires

Les joueurs ont toujours été nombreux parmi les gens de lettres, — depuis Rotrou jusqu’à Méry.

Méry passait régulièrement tous ses étés à Bade, au temps de la Maison de Conversation.

On sait ce que conversation voulait dire dans le style allemand d’alors.

C’est là que je Je connus et que nous devînmes amis.

Méry était joueur comme le Valère de Regnard, comme le Béverley de Saurin, comme le Robert le Diable de Meyerbeer.

Et c’était chez lui une passion d’autant plus malheureuse que, de mémoire de joueur, Méry n’avait jamais gagné.

Jamais !

Comme tous les joueurs il était superstitieux et croyait aux fétiches, aux talismans, aux gens qui portent bonheur ou malheur.

Or, il y avait alors à Bade un petit bossu d’une cinquantaine d’années.

C’était un banquier de Francfort qui s’appelait Meyer, autant qu’il m’en souvienne. Mais son nom importe peu. Je ne sais qui est-ce qui avait persuadé à Méry que les bossus étaient d’excellents fétiches, — et qu’il suffisait de toucher leur bosse pour se trouver immédiatement en relations avec la fortune.

Cette idée s’empara tellement de son esprit qu’il se mit à tourner sans relâche auprès du bossu. Il commença par se faire présenter à lui ; mais celui-ci, méfiant comme tous les bossus, le reçut très froidement.

Méry ne se rebuta pas ; il le guettait tous les jours dans les salons de jeu j il essayait de se frotter à lui sous le moindre prétexte ; il le heurtait en s’excusant ; — et, dans ses excuses gesticulées, sa main essayait