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petits mémoires littéraires

Van den Zande. — Il signait aussi quelquefois « le Matagrabolisateur. »

Il semble qu’en présence de si aimables instances François Grille va céder. Pas du tout. Il met en avant une théorie étrange et d’une politesse au moins douteuse : il ne tient pas à voir les gens qu’il alTectionne, pas plus Van den Zande qu’un autre. Il lui suffit de leur écrire. — Toujours écrire ! — Après s’être d’abord expliqué en vers sur cette manière de voir, ou plutôt de ne pas voir, il expose en prose les raisons, je veux dire les prétextes que voici :

J’ai eu pendant dix ans une correspondance très suivie avec M. de Fortia, avec M. de Reiffenberg, avec le bibliophile Laporte, avec Peignot, et je n’ai jamais vu les deux premiers ; je n’ai vu qu’une seule fois les troisième et quatrième. J’ai, depuis quarante ans, un ami à Niort, et je ne le connais point de visage ; il a quatre-vingt-cinq ans, il m’écrit toutes les semaines en prose et en vers (Comment ! lui aussi !) ; jamais nous ne nous serrerons la main ; je lui suis pourtant fort attaché, et il montre pour moi une véritable tendresse……

» Je ne vois ni Platon, ni Horace, ni Molière, ni Voltaire, et je vis avec eux, sans qu’ils me boudent parce que je ne vais pas les rejoindre. Je vis du cœur. J’ai pour Voltaire une affection de père. Eh bien ! qu’ai-je de lui ! que ses livres et son ombre. »

Van den Zande sourit sans doute à cette profession de foi, et il cessa d’insister auprès de son platonique correspondant, qui, mis à son aise, recommença à diriger vers les Batignolles les jets continuels de sa verve. Van den Zande se contenta de ramener un peu plus son bonnet sur la tête ; mais ses gémissements s’exhalent malgré lui :