Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/134

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peinte l’ineptie et vanité humaine. Car ces mouvemens guerriers, qui nous ravissent de leur horreur et espouvantement, cette tempeste de sons et de cris :

Fulgur ubi ad cælum se tollit, totáque circum
Ære renidescit tellus, subtérque virum vi
Excitur pedibus sonitus, clamoréque montes
Icti rejectant voces ad sidera mundi.

cette effroyable ordonnance de tant de milliers d’hommes armez, tant de fureur, d’ardeur, et de courage, il est plaisant à considerer par combien vaines occasions elle est agitée, et par combien legeres occasions esteinte.

Paridis propter narratur amorem
Græcia Barbariæ diro collisa duello.

Toute l’Asie se perdit et se consomma en guerres pour le macquerellage de Paris. L’envie d’un seul homme, un despit, un plaisir, une jalousie domestique, causes qui ne devroient pas émouvoir deux harangeres à s’esgratigner, c’est l’ame et le mouvement de tout ce grand trouble. Voulons nous en croire ceux mémes qui en sont les principaux autheurs et motifs ? Oyons le plus grand, le plus victorieux Empereur, et le plus puissant qui fust onques, se jouant et mettant en risée tres-plaisamment et tres-ingenieusement, plusieurs batailles hazardées et par mer et par terre, le sang et la vie de cinq cens mille hommes qui suivirent sa fortune, et les forces et richesses des deux parties du monde espuisées pour le service de ses entreprinses :

Quod futuit Glaphyran Antonius, hanc mihi poenam
Fulvia constituit, se quoque uti futuam.
Fulviam ego ut futuam ? quid si me Manius oret
Pædicem, faciam ? non puto, si sapiam.
Aut futue, aut pugnemus, ait : quid si mihi vita
Charior est ipsa mentula ? signa canant.