Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/107

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Et totum alterna mundum ratione moveri,
Fatorúmque vices certis discernere signis.

A voir que non un homme seul, non un Roy, mais les monarchies, les empires, et tout ce bas monde se meut au branle des moindres mouvemens celestes :

Quantáque quàm parvi faciant discrimina motus :
Tantum est hoc regnum quod regibus imperat ipsis :

si nostre vertu, nos vices, nostre suffisance et science, et ce mesme discours que nous faisons de la force des astres, et ceste comparaison d’eux à nous, elle vient, comme juge nostre raison, par leur moyen et de leur faveur :

furit alter amore,
Et pontum tranare potest et vertere Trojam,
Alterius sors est scribendis legibus apta,
Ecce patrem nati perimunt, natosque parentes,
Mutuáque armati cœunt in vulnera fratres,
Non nostrum hoc bellum est, coguntur tanta movere,
Inque suas ferri poenas, lacerandáque membra,
Hoc quoque fatale est sic ipsum expendere fatum.

si nous tenons de la distribution du ciel ceste part de raison que nous avons, comment nous pourra elle esgaler à luy ? comment soubs-mettre à nostre science son essence et ses conditions ? Tout ce que nous voyons en ces corps là, nous estonne ; quæ molitio, quæ ferramenta, qui vectes, quæ machinæ, qui ministri tanti operis fuerunt ? pourquoy les privons nous et d’ame, et de vie, et de discours ? y avons nous recognu quelque stupidité immobile et insensible, nous qui n’avons aucun commerce avec eux que d’obeïssance ? Dirons nous, que nous n’avons veu en nulle autre creature, qu’en l’homme, l’usage d’une ame raisonnable ? Et quoy ? Avons nousveu quelque chose semblable au soleil ? Laisse-il d’estre, par ce que nous n’avons rien veu de semblable ? et ses mouvements d’estre, par ce qu’il n’en est point de pareils ? Si ce que nous n’avons pas veu, n’est pas, nostre science est merveilleusement raccourcie. Quæ sunt tantæ animi angustiæ ? Sont ce pas des songes de l’humaine vanité, de faire de la Lune une terre celeste ? y deviner des montaignes, des vallées, comme Anaxagoras ? y planter des habitations et demeures humaines, et y dresser des colonies pour nostre commodité, comme faict Platon et Plutarque ? et de nostre terre en faire un astre esclairant et lumineux ? Inter cætera mortalitatis incommoda, et hoc est, caligo mentium : nec tantum necessitas errandi, sed errorum amor. Corruptibile corpus aggravat animam, et deprimit terrena inhabitatio sensum multa cogitantem.

La presomption est nostre maladie naturelle et originelle. La plus