Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/126

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qu’elles ont particulier, que savons nous que c’est ? Les chevaux, les chiens, les bœufs, les brebis, les oyseaux, et la pluspart des animaux, qui vivent avec nous, reconnaîssent nostre voix, et se laissent conduire par elle : si faisoit bien encore la murene de Crassus, et venoit à luy quand il l’appelloit : et le font aussi les anguilles, qui se trouvent en la fontaine d’Arethuse : et j’ay veu des gardoirs assez, où les poissons accourent, pour manger, à certain cry de ceux qui les traictent ;

nomen habent, Et ad magistri
Vocem quisque sui venit citatus.

Nous pouvons juger de cela : Nous pouvons aussi dire, que les elephans ont quelque participation de religion, d’autant qu’après plusieurs ablutions et purifications, on les voit haussans leur trompe, comme des bras ; et tenans les yeux fichez vers le Soleil levant, se planter long temps en meditation et contemplation, à certaines heures du jour ; de leur propre inclination, sans instruction et sans precepte. Mais pour ne voir aucune telle apparence és autres animaux, nous ne pouvons pourtant establir qu’ils soient sans religion, et ne pouvons prendre en aucune part ce qui nous est caché. Comme nous voyons quelque chose en cette action que le philosophe Cleanthes remerqua, par ce qu’elle retire aux nostres : Il vid, dit-il, des fourmis partir de leur fourmiliere, portans le corps d’un fourmis mort, vers une autre fourmiliere, de laquelle plusieurs autres fourmis leur vindrent au devant, comme pour parler à eux, et après avoir esté ensemble quelque piece, ceux-cy s’en retournerent, pour consulter, pensez, avec leurs concitoyens, et firent ainsi deux ou trois voyages pour la difficulté de la capitulation : En fin ces derniers venus, apporterent aux premiers un ver de leur taniere, comme pour la rançon du mort, lequel ver les premiers chargerent sur leur dos, et emporterent chez eux, laissans aux autres le corps du trespassé. Voila l’interpretation que