Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/131

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avec feste et demonstration de bien-vueillance ; et prendre quelque autre forme à contre-cœur et en haine. Les animaux ont choix comme nous, en leurs amours, et font quelque triage de leurs femelles. Ils ne sont pas exempts de nos jalousies et d’envies extremes et irreconciliables.

Les cupiditez sont ou naturelles et necessaires, comme le boire et le manger ; ou naturelles et non necessaires, comme l’accointance des femelles ; ou elles ne sont ni naturelles ni necessaires : de cette derniere sorte sont quasi toutes celles des hommes : elles sont toutes superfluës et artificielles : Car c’est merveille combien peu il faut à nature pour se contenter, combien peu elle nous a laissé à desirer : Les apprests à nos cuisines ne touchent pas son ordonnance. Les Stoiciens disent qu’un homme auroit dequoi se substanter d’une olive par jour. La delicatesse de nos vins, n’est pas de sa leçon, ni la recharge que nous adjoustons aux appetits amoureux :

neque illa
Magno prognatum deposcit consule cunnum.

Ces cupiditez étrangeres, que l’ignorance du bien, et une fauce opinion ont coulées en nous, sont en si grand nombre, qu’elles chassent presque toutes les naturelles : Ny plus ni moins que si en une cité, il y avoit si grand nombre d’étrangers, qu’ils en missent hors les naturels habitans, ou esteignissent leur authorité et puissance ancienne, l’usurpant entierement, et s’en saisissant. Les animaux sont beaucoup plus reglez que nous ne sommes, et se contiennent avec plus de moderation soubs les limites que nature nous a prescripts : Mais non pas si exactement, qu’ils n’ayent encore quelque convenance à nostre desbauche. Et tout ainsi comme il s’est trouvé des desirs furieux, qui ont poussé les hommes à l’amour des bêtes, elles se trouvent aussi par fois esprises de nostre amour, et reçoivent des affections monstrueuses d’une espece à autre : Témoin l’elephant corrival d’Aristophanes le grammairien, en l’amour