Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/176

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se font des corps des animaux en autres de mesmes espece, les nouveaux venus ne soyent autres que leurs predecesseurs ? Des cendres d’un Phoenix s’engendre, dit-on, un ver, et puis un autre Phoenix : ce second Phoenix, qui peut imaginer, qu’il ne soit autre que le premier ? Les vers qui font nostre soye, on les void comme mourir et assecher, et de ce mesme corps se produire un papillon, et de là un autre ver, qu’il seroit ridicule estimer estre encores le premier. Ce qui a cessé une fois d’estre, n’est plus :

Nec si materiam nostram collegerit ætas
Post obitum, rursúmque redegerit, ut sita nunc est,
Atque iterum nobis fuerint data lumina vitæ,
Pertineat quidquam tamen ad nos id quodque factum,
Interrupta semel cùm sit repetentia nostra.

Et quand tu dis ailleurs Platon, que ce sera la partie spirituelle de l’homme, à qui il touchera de jouyr des recompenses de l’autre vie, tu nous dis chose d’aussi peu d’apparence.

Scilicet avolsis radicibus ut nequit ullam
Dispicere ipse oculus rem seorsum corpore toto.

Car à ce compte ce ne sera plus l’homme, ny nous par consequent, à qui touchera cette jouyssance : Car nous sommes bastis de deux pieces principales essentielles, desquelles la separation, c’est la mort et ruyne de nostre estre.

Inter enim jacta est vitai pausa, vagéque
Deerrarunt passim motus ab sensibus omnes.

Nous ne disons pas que l’homme souffre, quand les vers luy rongent ses membres, dequoy il vivoit, et que la terre les consomme :

Et nihil hoc ad nos, qui coitu conjugióque
Corporis atque animæ consistimus uniter apti.

D’avantage, sur quel fondement de leur justice peuvent les