Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/196

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et espandu par tout le corps : à Zeno, la quint’-essence des quatre elemens : à Heraclides Ponticus, la lumiere : à Xenocrates, et aux Ægyptiens, un nombre mobile : aux Chaldées, une vertu sans forme determinée.

habitum quendam vitalem corporis esse,
Harmoniam Græci quam dicunt.

N’oublions pas Aristote, ce qui naturellement fait mouvoir le corps, qu’il nomme entelechie : d’une autant froide invention que nulle autre : car il ne parle ny de l’essence, ny de l’origine, ny de la nature de l’ame, mais en remerque seulement l’effect. Lactance, Seneque, et la meilleure part entre les dogmatistes, ont confessé que c’estoit chose qu’ils n’entendoient pas. Et apres tout ce denombrement d’opinions : Harum sententiarum quæ vera sit, Deus aliquis viderit, dit Cicero. Je connoy par moy, dit S. Bernard, combien Dieu est incomprehensible, puis que les pieces de mon estre propre, je ne les puis comprendre. Heraclitus, qui tenoit, tout estre plein d’ames et de daimons, maintenoit pourtant, qu’on ne pouvoit aller tant avant vers la cognoissance de l’ame, qu’on y peust arriver, si profonde estre son essence.

Il n’y a pas moins de dissension, ny de debat à la loger. Hippocrates et Hierophilus la mettent au ventricule du cerveau : Democritus et Aristote, par tout le corps :

Ut bona sæpe valetudo cum dicitur esse
Corporis, Et non est tamen hæc pars ulla valentis.

Epicurus, en l’estomach :

Hic exultat enim pavor ac metus, hæc loca circùm
Lætitiæ mulcent.

Les Stoïciens, autour et dedans le cœur : Erasistratus, joignant la membrane de l’Epicrane : Empedocles, au sang : comme aussi Moyse, qui fut la cause pourquoy il defendit de manger le sang des bestes, auquel leur ame est jointe : Galen a pensé que chaque partie du corps ait son ame : Strato l’a logée entre les deux sourcils : Qua facie quidem sit animus, aut ubi habitet, ne quærendum quidem est : dit Cicero. Je laisse volontiers à cet homme ses mots propres : Iroy-je à l’eloquence alterer son parler ? Joint qu’il y a peu d’acquest à desrober la matiere de ses inventions. Elles sont et peu frequentes, et peu roides, et peu ignorées ? Mais la raison pourquoy Chrysippus l’argumente autour du cœur, comme les autres de sa secte, n’est pas pour estre oubliée : C’est par ce, dit-il, que quand nous voulons asseurer quelque chose, nous mettons la main sur l’estomach : et quand nous voulons prononcer, ἔγο, qui signifie moy, nous baissons