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Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/202

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En outre, c’est icy chez nous, et non ailleurs, que doivent estre considerées les forces et les effects de l’ame : tout le reste de ses perfections, luy est vain et inutile : c’est de l’estat present, que doit estre payée et recognue toute son immortalité, et de la vie de l’homme, qu’elle est comtable seulement : Ce seroit injustice de luy avoir retranché ses moyens et ses puissances, de l’avoir desarmée, pour du temps de sa captivité et de sa prison, de sa foiblesse et maladie, du temps où elle auroit esté forcée et contrainte, tirer le jugement et une condemnation de durée infinie et perpetuelle : et de s’arrester à la consideration d’un temps si court, qui est à l’adventure d’une ou de deux heures, ou au pis aller, d’un siecle (qui n’ont non plus de proportion à l’infinité qu’un instant) pour de ce moment d’intervalle, ordonner et establir definitivement de tout son estre. Ce seroit une disproportion inique, de tirer une recompense eternelle en consequence d’une si courte vie.

Platon, pour se sauver de cet inconvenient, veut que les payements futurs se limitent à la durée de cent ans, relativement à l’humaine durée : et des nostres assez leur ont donné bornes temporelles.

Par ainsin ils jugeoyent, que sa generation suyvoit la commune condition des choses humaines : Comme aussi sa vie, par l’opinion d’Epicurus et de Democritus, qui a esté la plus receuë, suyvant ces belles apparences. Qu’on la voyoit naistre ; à mesme que le corps en estoit capable ; on voyoit eslever ses forces comme les corporelles ; on y recognoissoit la foiblesse de son enfance, et avec le temps sa vigueur et sa maturité : et puis sa declination et sa vieillesse, et en fin sa decrepitude :

gigni pariter cum corpore, et unà
Crescere sentimus, paritérque senescere mentem.

Ils l’appercevoient capable de diverses passions et agitée de plusieurs mouvemens penibles, d’où elle tomboit en lassitude et en douleur, capable d’alteration et de changement, d’allegresse, d’assopissement, et de langueur, subjecte à ses maladies et aux offences, comme l’estomach ou le pied :