Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/227

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estranges exemples. En verité, considerant ce qui est venu à nostre science du cours de cette police terrestre, je me suis souvent esmerveillé de voir, en une tres grande distance de lieux et de temps, les rencontres d’un grand nombre d’opinions populaires monstrueuses et des meurs et creances sauvages, et qui, par aucun biais, ne semblent tenir à nostre naturel discours. C’est un grand ouvrier de miracles que l’esprit humain ; mais cette relation a je ne sçay quoy encore de plus heteroclite ; elle se trouve aussi en noms, en accidens et en mille autres choses. Car on y trouve des nations n’ayans, que nous sachons, ouy nouvelles de nous, où la circoncision estoit en credit ; où il y avoit des estats et grandes polices maintenues par des femmes, sans hommes ; où nos jeusnes et nostre caresme estoit representé, y adjoustant l’abstinence des femmes ; où nos croix estoient en diverses façons en credit : icy on en honoroit les sepultures ; on les appliquoit là, et nomméement celle de Saint André, à se deffendre des visions nocturnes et à les mettre sur les couches des enfans contre les enchantements ; ailleurs ils en rencontrerent une de bois, de grande hauteur, adorée pour Dieu de la pluye, et celle là bien fort avant dans la terre ferme ; on y trouva une bien expresse image de nos penitentiers ; l’usage des mitres, le coelibat des prestres, l’art de diviner par les entrailles des animaux sacrifiez ; l’abstinence de toute sorte de chair et poisson à leur vivre, la façon aux prestres d’user en officiant de langue particuliere et non vulgaire ; et cette fantasie, que le premier dieu fut chassé par un second, son frere puisné ; qu’ils furent creés avec toutes commoditez, lesquelles on leur a depuis retranchées pour leur peché, changé leur territoire et empiré leur condition naturelle ; qu’autresfois ils ont esté submergez par l’innondation des eaux celestes ; qu’il ne s’en sçauva que peu de familles, qui se jetterent dans les hauts creux des montaignes, lesquels creux ils boucherent, si que l’eau n’y entre poinct, ayant enfermé là dedans plusieurs sortes d’animaux ; que, quand ils sentirent la pluye cesser, ils mirent hors des chiens, lesquels estans revenus nets et mouillez, ils jugerent l’eau n’estre encore guiere abaissée ; depuis, en ayant fait sortir d’autres et les voyans revenir bourbeux, ils sortirent repeupler le monde, qu’ils trouverent plain seulement de serpens. On rencontra en quelque endroit la persuasion du jour du jugement, si qu’ils s’offençoient merveilleusement contre les Espaignols, qui espendoient les os des trespassez en fouillant les richesses des sepultures, disant que ces os escartez ne se