Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/239

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que la moderation et la conservation de la liberté d’autruy. Heraclitus et Protagoras, de ce que le vin semble amer au malade et gracieux au sain, l’aviron tortu dans l’eau et droit à ceux qui le voient hors de là, et de pareilles apparences contraires qui se trouvent aux subjects, argumenterent que tous subjects avoient en eux les causes de ces apparences ; et qu’il y avoit au vin quelque amertume qui se rapportoit au goust du malade, l’aviron certaine qualité courbe se rapportant à celuy qui le regarde dans l’eau. Et ainsi de tout le reste. Qui est dire que tout est en toutes choses, et par consequent rien en aucune, car rien n’est où tout est. Cette opinion me ramentoit l’experience que nous avons, qu’il n’est aucun sens ny visage, ou droict, ou amer, ou doux, ou courbe, que l’esprit humain ne trouve aux escrits qu’il entreprend de fouiller. En la parole la plus nette, pure et parfaicte qui puisse estre, combien de fauceté et de mensonge a l’on fait naistre ? quelle heresie n’y a trouvé des fondements assez et tesmoignages, pour entreprendre et pour se maintenir ? C’est pour cela que les autheurs de telles erreurs ne se veulent jamais departir de cette preuve, du tesmoignage de l’interpretation des mots. Un personnage de dignité, me voulant approuver par authorité cette queste de la pierre philosophale où il est tout plongé, m’allegua dernierement cinq ou six passages de la Bible, sur lesquels il disoit s’estre premierement fondé pour la descharge de sa conscience (car il est de profession ecclesiastique) ; et, à la verité, l’invention n’en estoit pas seulement plaisante, mais encore bien proprement accommodée à la deffence de cette belle science. Par cette voye se gaigne le credit des fables divinatrices. Il n’est prognostiqueur, s’il a cette authorité qu’on le daigne feuilleter, et rechercher