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Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/27

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et de pis à l’advanture. Comme il m’estoit autrefois advenu : car en un tel mescompte, je perdis et hommes et chevaux, et m’y tua lon miserablement, entre autres, un page gentil-homme Italien, que je nourrissois soigneusement ; et fut estainte en luy une tresbelle enfance, et pleine de grande esperance. Mais cettuy-cy en avoit une frayeur si esperduë, et je le voyois si mort à chasque rencontre d’hommes à cheval, et passage de villes, qui tenoient pour le Roy, que je devinay en fin que c’estoient alarmes que sa conscience luy donnoit. Il sembloit à ce pauvre homme qu’au travers de son masque et des croix de sa cazaque on iroit lire jusques dans son cœur, ses secrettes intentions. Tant est merveilleux l’effort de la conscience : Elle nous fait trahir, accuser, et combattre nous mesmes, et à faute de tesmoing estranger, elle nous produit contre nous,
Occultum quatiens animo tortore flagellum.

Ce conte est en la bouche des enfans. Bessus Poeonien reproché d’avoir de gayeté de cœur abbatu un nid de moineaux, et les avoir tuez : disoit avoir eu raison, par ce que ces oysillons ne cessoient de l’accuser faucement du meurtre de son pere. Ce parricide jusques lors avoit esté occulte et inconnu : mais les furies vengeresses de la conscience, le firent mettre hors à celuy mesmes qui en devoit porter la penitence.

Hesiode corrige le dire de Platon, que la peine suit de bien pres le peché : car il dit qu’elle naist en l’instant et quant et quant le peché. Quiconque attent la peine, il la souffre, et quiconque l’a meritée, l’attend. La meschanceté fabrique des tourmens contre soy.

Malum consilium consultori pessimum.

Comme la mouche guespe picque et offence autruy, mais plus soy-mesme, car elle y perd son esguillon et sa force pour jamais ;