Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/303

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il n’y a pas un mois qu’on me surprint ignorant dequoy le levain servoit à faire du pain, et que c’estoit que faire cuver du vin. On conjectura anciennement à Athenes une aptitude à la mathematique en celuy à qui on voioit ingenieusement agencer et fagotter une charge de brossailles. Vrayement on tireroit de moy une bien contraire conclusion : car qu’on me donne tout l’apprest d’une cuisine, me voilà à la faim. Par ces traits de ma confession, on en peut imaginer d’autres à mes despens. Mais, quel que je me face connoistre, pourveu que je me face connoistre tel que je suis, je fay mon effect. Et si ne m’excuse pas d’oser mettre par escrit des propos si bas et frivoles que ceux-cy. La bassesse du sujet m’y contrainct. Qu’on accuse, si on veut, mon project ; mais mon progrez, non. Tant y a que, sans l’advertissement d’autruy, je voy assez ce peu que tout cecy vaut et poise, et la folie de mon dessein. C’est prou que mon jugement ne se defferre poinct, duquel ce sont icy les essais :

Nasutus sis usque licet, sis denique nasus,
Quantum noluerit ferre rogatus Athlas,
Et possis ipsum tu deridere Latinum,
Non potes in nugas dicere plura meas,
Ipse ego quam dixi : quid dentem dente juvabit
Rodere ? carne opus est, si satur esse velis.
Ne perdas operam : qui se mirantur, in illos
Virus habe ; nos haec novimus esse nihil.

Je ne suis pas obligé à ne dire point de sottises, pourveu que je ne me trompe pas à les connoistre. Et de faillir à mon escient, cela m’est si ordinaire que je ne faux guere d’autre façon : je ne faux jamais fortuitement. C’est peu de chose de prester à la temerité de mes humeurs les actions ineptes, puis que je ne me puis pas deffendre d’y prester ordinairement les