Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/366

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reins. Un prince me disoit, il n’y a pas long temps, que pendant sa jeunesse, un jour de feste solemne, en la court du Roy François premier, où tout le monde estoit paré, il luy print envie de se vestir de la haire, qui est encore chez luy, de monsieur son pere ; mais, quelque devotion qu’il eust, qu’il ne sceut avoir la patience d’attendre la nuict pour se despouiller, et en fut long temps malade, adjoustant qu’il ne pensoit pas qu’il y eust chaleur de jeunesse si aspre que l’usage de cette recepte ne peut amortir : toutesfois à l’advanture ne les a-il pas essayées les plus cuisantes ; car l’experience nous faict voir qu’une telle esmotion se maintient bien souvent soubs des habits rudes et marmiteux, et que les haires ne rendent pas tousjours heres ceux qui les portent. Xenocrates y proceda plus rigoureusement : car ses disciples, pour essayer sa continence, luy ayant fourré dans son lict Laïs, cette belle et fameuse courtisane, toute nue, sauf les armes de sa beauté et folastres apasts, ses philtres, sentant qu’en despit de ses discours et de ses regles, le corps, revesche, commençoit à se mutiner, il se fit brusler les membres qui avoient presté l’oreille à cette rebellion. Là où les passions qui sont toutes en l’ame, comme l’ambition, l’avarice et autres, donnent bien plus à faire à la raison : car elle n’y peut estre secourue que de ses propres moyens, ny ne sont ces appetits-là capables de satieté, voire ils s’esguisent et augmentent par la jouyssance. Le seul exemple de Julius Caesar peut suffire à nous montrer la disparité de ces appetits, car jamais homme ne fut plus adonné aux plaisirs amoureux. Le soin curieux qu’il avoit de sa personne, en est un tesmoignage, jusques à se servir à cela des moyens les plus lascifs qui fussent lors en usage, comme de se faire pinceter tout le corps et farder de parfums d’une extreme curiosité. Et de soy il estoit beau personnage, blanc, de belle et allegre taille, le visage plein, les yeux bruns et vifs, s’il en faut