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Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/394

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de ce qu’il estoit si pauvre qu’il n’avoit dequoy nourrir deux serviteurs : Et quoy, luy respondit-il, Homere, qui estoit beaucoup plus pauvre que toy, en nourrit bien plus de dix mille, tout mort qu’il est. Que n’estoit ce dire, à Panaetius, quand il nommoit Platon l’Homere des philosophes ? Outre cela, quelle gloire se peut comparer à la sienne ? Il n’est rien qui vive en la bouche des hommes comme son nom et ses ouvrages ; rien si cogneu et si reçeu que Troye, Helene et ses guerres, qui ne furent à l’advanture jamais. Nos enfans s’appellent encore des noms qu’il forgea il y a plus de trois mille ans. Qui ne cognoit Hector et Achilles ? Non seulement aucunes races particulieres, mais la plus part des nations cherchent origine en ses inventions. Mahumet, second de ce nom, Empereur des Turcs, escrivant à nostre Pape Pie second : Je m’estonne, dit-il, comment les Italiens se bandent contre moy, attendu que nous avons nostre origine commune des Troyens, et que j’ay comme eux interest de venger le sang d’Hector sur les Grecs, lesquels ils vont favorisant contre moy. N’est-ce pas une noble farce de laquelle les Roys, les choses publiques et les Empereurs vont jouant leur personnage tant de siecles, et à laquelle tout ce grand univers sert de theatre ? Sept villes Grecques entrarent en debat du lieu de sa naissance, tant son obscurité mesmes luy apporta d’honneur :

Smyrna, Rhodos, Colophon, Salamis, Chios, Argos, Athemae.

L’autre, Alexandre le Grand. Car qui considerera l’aage qu’il commença ses entreprises ; le peu de moyen avec lequel il fit un si glorieux dessein ; l’authorité qu’il gaigna en cette sienne enfance parmy les plus grands et experimentez capitaines du monde desquels il estoit suyvi ; la faveur extraordinaire dequoy fortune embrassa et favorisa tant de siens exploits hazardeux, et à peu que je ne die temeraires :

impellens quicquid sibi summa petenti
Obstaret, gaudensque viam fecisse ruina ;