Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/402

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ce que je doy certainement au soing que j’ay eu à me preparer par discours à tels accidens,

laborum
Nulla mihi nova nunc facies inopinaque surgit ;
Omnia praecepi atque animo mecum ante peregi.

Je suis essayé pourtant un peu bien rudement pour un apprentis, et d’un changement bien soudain et bien rude, estant cheu tout à coup d’une tres-douce condition de vie et tres-heureuse à la plus doloreuse et penible qui se puisse imaginer : car, outre ce que c’est une maladie bien fort à craindre d’elle mesme, elle fait en moy ses commencemens beaucoup plus aspres et difficiles qu’elle n’a accoustumé. Les accés me reprennent si souvent que je ne sens quasi plus d’entiere santé. Je maintien toutesfois jusques à cette heure mon esprit en telle assiette que, pourveu que j’y puisse apporter de la constance, je me treuve en assez meilleure condition de vie que mille autres, qui n’ont ny fiévre ny mal que celuy qu’ils se donnent eux mesmes par la faute de leur discours. Il est certaine façon d’humilité subtile qui naist de la presomption, comme cette-cy, que nous reconnoissons nostre ignorance en plusieurs choses, et sommes si courtois d’avouer qu’il y a és ouvrages de nature aucunes qualitez et conditions qui nous sont imperceptibles, et des quelles nostre suffisance ne peut descouvrir les moyens et les causes. Par cette honneste et conscientieuse declaration, nous esperons gaigner qu’on nous croira aussi de celles que nous dirons entendre. Nous n’avons que faire d’aller trier des miracles et des difficultez estrangeres ; il me semble que, parmy les choses que nous voyons ordinairement, il y a des estrangetez si incomprehensibles qu’elles surpassent toute la difficulté des miracles. Quel monstre est-ce, que cette goute de semence dequoy nous sommes produits, porte en soy les impressions, non de la forme corporelle seulement,