Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/407

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autre discipline que de ma coustume et de mon plaisir. Tout lieu m’est bon à m’arrester, car il ne me faut autres commoditez, estant malade, que celles qu’il me faut estant sain. Je ne me passionne point d’estre sans medecin, sans apotiquaire et sans secours ; dequoy j’en voy la plus part plus affligez que du mal. Quoy ! eux mesmes nous font ils voir de l’heur et de la durée en leur vie, qui nous puisse tesmoigner quelque apparent effet de leur science ? Il n’est nation qui n’ait esté plusieurs siecles sans la medecine, et les premiers siecles, c’est à dire les meilleurs et les plus heureux ; et du monde la dixiesme partie ne s’en sert pas encores à cette heure ; infinies nations ne la cognoissent pas, où l’on vit et plus sainement et plus longuement qu’on ne fait icy ; et parmy nous le commun peuple s’en passe heureusement. Les Romains avoyent esté six cens ans avant que de la recevoir ; mais, apres l’avoir essayée, ils la chasserent de leur ville par l’entremise de Caton le Censeur, qui montra combien aysément il s’en pouvoit passer, ayant vescu quatre vingts et cinq ans, et fait vivre sa femme jusqu’à l’extreme vieillesse, non pas sans medecine, mais ouy bien sans medecin : car toute chose qui se trouve salubre à nostre vie, se peut nommer medecine. Il entretenoit, ce dict Plutarque, sa famille en santé par l’usage (ce me semble) du lievre : comme les Arcades, dict Pline, guerissent toutes maladies avec du laict de vache. Et les Lybiens, dict Herodote, jouyssent populairement d’une rare santé par cette coustume qu’ils ont, apres que leurs enfans ont atteint quatre ans, de leur cauteriser et brusler les veines du chef et des temples, par où ils coupent chemin pour leur vie à toute defluxion de rheume. Et les gens de village de ce païs, à tous accidens, n’employent que du vin le plus fort qu’ils peuvent, meslé à force safran et espice : tout cela avec une fortune pareille. Et, à dire vray, de toute cette diversité et confusion d’ordonnances, quelle autre fin et effect apres tout y a il que de vuider le ventre ? ce que mille simples domestiques peuvent faire. Et si ne sçay si c’est si utillement qu’ils disent, et si nostre nature n’a point besoing de la residence de ses excremens jusques à certaine mesure, comme le vin