Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/423

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parties de ce bouc il y avoit quelque qualité petrifiante. Ce n’estoit pas tant pour la crainte de l’advenir, et pour moy, que j’estoy curieux de cette experience ; comme c’estoit qu’il advient chez moy, ainsi qu’en plusieurs maisons, que les femmes y font amas de telles menues drogueries pour en secourir le peuple, usant de mesme recepte à cinquante maladies, et de telle recepte qu’elles ne prennent pas pour elles, et si triomphent en bons evenemens. Au demeurant, j’honore les medecins, non pas, suyvant le precepte, pour la necessité, car à ce passage on en oppose un autre du prophete reprenant le Roy Asa d’avoir eu recours au medecin, mais pour l’amour d’eux mesmes, en ayant veu beaucoup d’honnestes hommes et dignes d’estre aimez. Ce n’est pas à eux que j’en veux, c’est à leur art, et ne leur donne pas grand blasme de faire leur profit de nostre sotise, car la plus part du monde faict ainsi. Plusieurs vacations et moindres et plus dignes que la leur n’ont fondement et appuy qu’aux abuz publiques. Je les appelle en ma compaignie quand je suis malade, s’ils se r’encontrent à propos, et demande à en estre entretenu, et les paye comme les autres. Je leur donne loy de me commander de m’abrier chaudement, si je l’ayme mieux ainsi, que d’un’autre sorte ; ils peuvent choisir, d’entre les porreaux et les laictues, dequoy il leur plaira que mon bouillon se face, et m’ordonner le blanc ou le clairet ; et ainsi de toutes autres choses qui sont indifferentes à mon appetit et usage. J’entans bien que ce n’est rien faire pour eux, d’autant que l’aigreur et l’estrangeté sont accidans de l’essance propre de la medecine. Licurgus ordonnoit le vin aux Spartiates malades. Pourquoy ? par ce qu’ils en haissoyent l’usage, sains : tout ainsi qu’un gentil’homme, mon voisin, s’en sert pour drogue tres-salutaire à ses fiebvres, parce que de sa nature il en hait mortellement le