Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/44

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et extravaguant. Il n’y a rien aussi en ceste besoigne digne d’estre remerqué que ceste bizarrerie : car à un subject si vain et si vil, le meilleur ouvrier du monde n’eust sçeu donner façon qui merite qu’on en face conte. Or Madame, ayant à m’y pourtraire au vif, j’en eusse oublié un traict d’importance, si je n’y eusse representé l’honneur, que j’ay tousjours rendu à vos merites. Et l’ay voulu dire signamment à la teste de ce chapitre, d’autant que parmy vos autres bonnes qualitez, celle de l’amitié que vous avez montrée à vos enfans, tient l’un des premiers rengs. Qui sçaura l’aage auquel Monsieur d’Estissac vostre mari vous laissa veufve, les grands et honorables partis, qui vous ont esté offerts, autant qu’à Dame de France de vostre condition, la constance et fermeté dequoy vous avez soustenu tant d’années et au travers de tant d’espineuses difficultez, la charge et conduite de leurs affaires, qui vous ont agitée par tous les coins de France, et vous tiennent encores assiegée, l’heureux acheminement que vous y avez donné, par vostre seule prudence ou bonne fortune : il dira aisément avec moy, que nous n’avons point d’exemple d’affection maternelle en nostre temps plus exprez que le vostre.

Je louë Dieu, Madame, qu’elle aye esté si bien employée : car les bonnes esperances que donne de soy Monsieur d’Estissac vostre fils, asseurent assez que quand il sera en aage, vous en tirerez l’obeïssance et reconnoissance d’un tres-bon enfant. Mais d’autant qu’à cause de sa puerilité, il n’a peu remerquer les extremes offices qu’il a receu de vous en si grand nombre, je veux, si ces escrits viennent un jour à luy tomber en main, lors que je n’auray plus ny bouche ny parole qui le puisse dire, qu’il reçoive de moy ce tesmoignage en toute verité : qui luy sera encore plus vifvement tesmoigné par les bons effects, dequoy si Dieu plaist il se ressentira, qu’il n’est gentil-homme en France, qui doive plus à sa mere qu’il fait, et qu’il ne peut donner à