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Des armes des Parthes
Chap. IX


C’EST une façon vitieuse de la noblesse de nostre temps, et pleine de mollesse, de ne prendre les armes que sur le point d’une extreme necessité : et s’en descharger aussi tost qu’il y a tant soit peu d’apparence, que le danger soit esloigné : D’où il survient plusieurs desordres : car chacun criant et courant à ses armes, sur le point de la charge, les uns sont à lacer encore leur cuirasse, que leurs compaignons sont desja rompus. Nos peres donnoient leur salade, leur lance, et leurs gantelets à porter, et n’abandonnoient le reste de leur equippage, tant que la courvée duroit. Nos trouppes sont ceste heure toutes troublées et difformes, par la confusion du bagage et des valets qui ne peuvent esloigner leurs maistres, à cause de leurs armes.

Tite Live parlant des nostres, Intolerantissima laboris corpora vix arma humeris gerebant.

Plusieurs nations vont encore et alloient anciennement à la guerre sans se couvrir : ou se couvroient d’inutiles defences.

Tegmina queis capitum raptus de subere cortex.

Alexandre le plus hazardeux Capitaine qui fut jamais, s’armoit fort rarement : Et ceux d’entre nous qui les mesprisent n’empirent pour cela de guere leur marché. S’il se voit quelqu’un tué par le defaut d’un harnois, il n’en est guere moindre nombre, que l’empeschement des armes a faict perdre, engagés sous leur pesanteur, ou froissez et rompus, ou par un contre-coup, ou autrement. Car il semble, à la verité, à voir le poix des nostres et leur espesseur, que nous ne cherchons qu’à nous deffendre, et en sommes plus chargez que couvers. Nous avons assez à faire à en soustenir le faix, entravez et contraints, comme si nous n’avions à combattre que du choq de nos armes : Et comme si nous n’avions pareille obligation à les deffendre,