Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/69

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en va de mon autheur tout au contraire : les perfections et beautez de sa façon de dire, nous font perdre l’appetit de son subject. Sa gentillesse et sa mignardise nous retiennent par tout. Il est par tout si plaisant,

Liquidus puróque simillimus amni,

et nous remplit tant l’ame de ses graces, que nous en oublions celles de sa fable.

Ceste mesme consideration me tire plus avant. Je voy que les bons et anciens Poëtes ont evité l’affectation et la recherche, non seulement des fantastiques elevations Espagnoles et Petrarchistes, mais des pointes mesmes plus douces et plus retenues, qui sont l’ornement de tous les ouvrages Poëtiques des siecles suyvans. Si n’y a il bon juge qui les trouve à dire en ces anciens, et qui n’admire plus sans comparaison, l’egale polissure et cette perpetuelle douceur et beauté fleurissante des Epigrammes de Catulle, que tous les esguillons, dequoy Martial esguise la queuë des siens. C’est cette mesme raison que je disoy tantost, comme Martial de soy, minus illi ingenio laborandum fuit, in cujus locum materia successerat. Ces premiers là, sans s’esmouvoir et sans se picquer se font assez sentir : ils ont dequoy rire par tout, il ne faut pas qu’ils se chatouillent : ceux-cy ont besoing de secours estranger : à mesure qu’ils ont moins d’esprit, il leur faut plus de corps : ils montent à cheval par ce qu’ils ne sont assez forts sur leurs jambes. Tout ainsi qu’en nos bals, ces hommes de vile condition, qui en tiennent escole, pour ne pouvoir representer le port et la decence de nostre noblesse, cherchent à se recommander par des sauts perilleux, et autres mouvemens estranges et basteleresques. Et les Dames ont meilleur marché de leur contenance, aux danses où il y a diverses descoupeures et agitation de corps, qu’en certaines autres