Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/80

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

monde sçait, et les choses qui ont tiré des effects publiques, et de telle consequence, c’est un defaut inexcusable. Somme pour avoir l’entiere connoissance du Roy François, et des choses advenuës de son temps, qu’on s’addresse ailleurs, si on m’en croit : Ce qu’on peut faire icy de profit, c’est par la deduction particuliere des batailles et exploits de guerre, où ces gentils-hommes se sont trouvez : quelques paroles et actions privées d’aucuns Princes de leur temps, et les pratiques et negociations conduites par le Seigneur de Langeay, où il y a tout plein de choses dignes d’estre sceues, et des discours non vulgaires.


De la cruauté
Chap. XI


IL me semble que la vertu est chose autre, et plus noble, que les inclinations à la bonté, qui naissent en nous. Les ames reglées d’elles mesmes et bien nées, elles suyvent mesme train, et representent en leurs actions, mesme visage que les vertueuses. Mais la vertu sonne je ne sçay quoy de plus grand et de plus actif, que de se laisser par une heureuse complexion, doucement et paisiblement conduire à la suite de la raison. Celuy qui d’une douceur et facilité naturelle, mespriseroit les offences receuës, feroit chose tresbelle et digne de loüange : mais celuy qui picqué et outré jusques au vif d’une offence, s’armeroit des armes de la raison contre ce furieux appetit de vengeance, et apres un grand conflict, s’en rendroit en fin maistre, feroit sans doubte beaucoup plus. Celuy-là feroit bien, et cestuy-cy vertueusement : l’une action se pourroit dire bonté, l’autre vertu. Car il semble que le nom de la vertu presuppose de la difficulté et du contraste, et qu’elle ne peut s’exercer sans partie. C’est à l’aventure pourquoy nous nommons Dieu bon, fort, et liberal, et juste, mais nous ne le nommons pas vertueux. Ses operations sont toutes naïfves et sans effort.

Des Philosophes non seulement