Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 2.djvu/98

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la pouvoir concevoir et loger en nous : et ne croy pas que les moyens purement humains en soyent aucunement capables. Et s’ils l’estoient, tant d’ames rares et excellentes, et si abondamment garnies de forces naturelles és siecles anciens, n’eussent pas failly par leur discours, d’arriver à cette cognoissance. C’est la foy seule qui embrasse vivement et certainement les hauts mysteres de nostre Religion. Mais ce n’est pas à dire, que ce ne soit une tresbelle et treslouable entreprinse, d’accommoder encore au service de nostre foy, les utils naturels et humains, que Dieu nous a donnez. Il ne fault pas doubter que ce ne soit l’usage le plus honorable, que nous leur sçaurions donner : et qu’il n’est occupation ny dessein plus digne d’un homme Chrestien, que de viser par tous ses estudes et pensemens à embellir, estendre et amplifier la verité de sa creance. Nous ne nous contentons point de servir Dieu d’esprit et d’ame : nous luy devons encore, et rendons une reverence corporelle : nous appliquons noz membres mesmes, et noz mouvements et les choses externes à l’honorer. Il en faut faire de mesme, et accompaigner nostre foy de toute la raison qui est en nous : mais tousjours avec cette reservation, de n’estimer pas que ce soit de nous qu’elle despende, ny que nos efforts et arguments puissent atteindre à une si supernaturelle et divine science.

Si elle n’entre chez nous par une infusion extraordinaire : si elle y entre non seulement par discours, mais encore par moyens humains, elle n’y est pas en sa dignité ny en sa splendeur. Et certes je crain pourtant que nous ne la jouyssions que par cette voye. Si nous tenions à Dieu par l’entremise d’une foy vive : si nous tenions à Dieu par luy, non par nous : si nous avions un pied et un fondement divin, les occasions humaines n’auroient pas le pouvoir de nous esbranler, comme elles ont : nostre fort ne seroit pas pour se rendre à une si foible batterie : l’amour de la nouvelleté, la contraincte des Princes, la bonne