et de condemnation ; et qui vous la donne, vous accuse, et vous la donne, si vous l’entendez bien, en charge et en peine : autant que les affaires publiques s’amendent de vostre exploit, autant s’en empirent les vostres ; vous y faictes d’autant pis que mieux vous y faites. Et ne sera pas nouveau, ny à l’avanture sans quelque air de Justice, que celuy mesmes vous en chastie, qui vous aura mis en besoigne. La perfidie peut estre en quelque cas excusable : lors seulement elle l’est, qu’elle s’employe à punir et trahir la perfidie. Il se trouve assez de trahisons non seulement refusées, mais punies par ceux en faveur desquels elles avoyent esté entreprises. Qui ne sçait la sentence de Fabritius à l’encontre du Medecin de Pyrrhus ? Mais cecy encore se trouve, que tel l’a commandée qui l’a vengée rigoureusement sur celuy qu’il y avoit employé, refusant un credit et pouvoir si effrené, et desadvouant un servage et une obeïssance si abandonnée et si lache. Jaropelc, Duc de Russie, practiqua un gentil-homme de Hongrie pour trahir le Roy de Poulongne Boleslaus en le faisant mourir, ou donnant aux Russiens moyen de luy faire quelque notable dommage. Cettuy cy s’y porta en galand homme, s’adonna plus que devant au service de ce Roy, obtint d’estre de son conseil et de ses plus feaux. Avec ces advantages, et choisissant à point l’opportunité de l’absence de son maistre, il trahit aux Russiens Vislicie, grande et riche cité, qui fut entierement saccagée et arse par eux, avec occision totale non seulement des habitans d’icelle de tout sexe et aage, mais de grand nombre de noblesse de là autour qu’il y avoit assemblé à ces fins. Jaropelc, assouvy de sa vengeance et de son courroux, qui pourtant n’estoit pas sans titre (car Boleslaus l’avoit fort offencé et en pareille conduitte), et saoul du fruict de cette trahison, venant à en considerer la laideur nue et seule, et la regarder d’une veue saine et non plus troublée par sa passion, la print à un tel remors et contre-cueur, qu’il en fit crever les yeux et couper la langue et les parties honteuses à son executeur. Antigonus persuada les soldats
Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 3.djvu/10
Apparence