Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 3.djvu/146

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trompoit : car la justice a cognoissance et animadvertion aussi sur ceux qui chaument. Mais il y devroit avoir quelque coerction des loix contre les escrivains ineptes et inutiles, comme il y a contre les vagabons et faineants. On banniroit des mains de nostre peuple et moy et cent autres. Ce n’est pas moquerie. L’escrivaillerie semble estre quelque simptome d’un siecle desbordé. Quand escrivismes nous tant que depuis que nous sommes en trouble ? quand les Romains tant que lors de leur ruyne ? Outre ce, que l’affinement des esprits ce n’en est pas l’assagissement en une police, cet embesoingnement oisif naist de ce que chacun se prent lachement à l’office de sa vacation, et s’en desbauche. La corruption du siecle se faict par la contribution particuliere de chacun de nous : les uns y conferent la trahison, les autres l’injustice, l’irreligion, la tyrannie, l’avarice, la cruauté, selon qu’ils sont plus puissans ; les plus foibles y apportent la sottise, la vanité, l’oisiveté, desquels je suis. Il semble que ce soit la saison des choses vaines quand les dommageables nous pressent. En un temps où le meschamment faire est si commun, de ne faire qu’inutilement il est comme louable. Je me console que je seray des derniers sur qui il faudra mettre la main. Ce pendant qu’on pourvoira aux plus pressans, j’auray loy de m’amender. Car il me semble que ce seroit contre raison de poursuyvre les menus inconvenients, quand les grands nous infestent. Et le medecin Philotimus, à un qui luy presentoit le doit à penser, à qui il recognoissoit au visage et à l’haleine un ulcere aux poulmons : Mon amy, fit-il, ce n’est pas à cette heure le temps de t’amuser à tes ongles. Je vis pourtant sur ce propos, il y a quelques années, qu’un personnage, duquel j’ay la memoire en recommendation singuliere, au milieu de nos grands maux, qu’il n’y avoit ny loy, ny justice, ny magistrat qui fit son office non plus qu’à cette heure, alla publier je ne sçay quelles chetives reformations sur les