Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 3.djvu/188

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obligé au sirop et à la panade. Je ne sçay quels livres, disoit la courtisane Lays, quelle sapience, quelle philosophie, mais ces gens là battent aussi souvant à ma porte que aucuns autres. D’autant que nostre licence nous porte tousjours au delà de ce qui nous est loisible et permis, on a estressy souvant outre la raison universelle les preceptes et loys de nostre vie.

Nemo satis credit tantum delinquere quantum
Permittas.

Il seroit à desirer qu’il y eust plus de proportion du commandement à l’obeyssance ; et semble la visée injuste, à laquelle on ne peut atteindre. Il n’est si homme de bien, qu’il mette à l’examen des loix toutes ses actions et pensées, qui ne soit pendable dix fois en sa vie, voire tel qu’il seroit tres-grand dommage et tres-injuste de punir et de perdre.

xxxxxxxxxxxxxxxx Olle, quid ad te
De cute quid faciat ille, vel illa sua ?

Et tel pourroit n’offenser point les loix, qui n’en meriteroit point la louange d’homme de vertu, et que la philosophie feroit tres-justement foiter. Tant cette relation est trouble et inegale. Nous n’avons garde d’estre gens de bien selon Dieu ; nous ne le sçaurions estre selon nous. L’humaine sagesse n’arriva jamais aux devoirs qu’elle s’estoit elle mesme prescrit et, si elle y estoit arrivée, elle s’en prescriroit d’autres au delà, où elle aspirat tousjours et pretendit, tant nostre estat est ennemy de consistance. L’homme s’ordonne à soy mesme d’estre necessairement en faute. Il n’est guiere fin de tailler son obligation à la raison d’un autre estre que le sien. A qui prescript il ce qu’il s’attend que personne ne face ? Luy est il injuste de ne faire point ce qu’il luy est impossible de faire ? Les loix qui nous condamnent à ne pouvoir pas nous accusent elles mesmes de ne pouvoir pas. Au pis aller, cette difforme liberté de se presenter à deux endroicts, et les actions d’une façon, les discours de l’autre, soit loisible à ceux qui disent les choses ; mais elle ne le peut estre à ceux qui se disent eux mesme, comme je fay : il faut que j’aille de la plume comme des pieds. La vie commune doibt avoir conferance aux autres vies. La vertu de Caton estoit vigoreuse outre la mesure de son siecle ; et à un homme qui se mesloit de gouverner les autres, destiné au service commun, il se pourroit dire que c’estoit une