Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 3.djvu/196

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charge prognostiquoit que je la deusse ruyner, regardant à mon humeur si peu casaniere. Il se trompa : me voicy comme j’y entray, sinon un peu mieux ; sans office pourtant et sans benefice. Au demeurant, si la fortune ne m’a faict aucune offence violente et extraordinaire, aussi n’a-elle pas de grace. Tout ce qu’il y a de ses dons chez nous, il y est plus de cent ans avant moy. Je n’ay particulierement aucun bien essentiel et solide que je doive à sa liberalité. Elle m’a faict quelques faveurs venteuses, honnoraires et titulaires, sans substance ; et me les a aussi à la verité, non pas accordées, mais offertes, Dieu sçait ! à moy qui suis tout materiel, qui ne me paye que de la realité, encores bien massive, et qui, si je l’osois confesser, ne trouverois l’avarice guere moins excusable que l’ambition, ny la douleur moins evitable que la honte, ny la santé moins desirable que la doctrine, ou la richesse que la noblesse. Parmy ses faveurs vaines, je n’en ay poinct qui plaise tant à cette niaise humeur qui s’en paist chez moy, qu’une bulle authentique de bourgeoisie Romaine, qui me fut octroyée dernierement que j’y estois, pompeuse en seaux et lettres dorées, et octroyée avec toute gratieuse liberalité. Et, par ce qu’elles se donnent en divers stile plus ou moins favorable, et qu’avant que j’en eusse veu j’eusse esté bien aise qu’on m’en eust montré un formulaire, je veux, pour satisfaire à quelqu’un, s’il s’en trouve malade de pareille curiosité à la mienne, la transcrire icy en sa forme :