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Des boyteux.

Chap. XI.



IL y a deux ou trois ans qu’on acoursit l’an de dix jours en France. Combien de changemens devoient suyvre cette reformation’ce fut proprement remuer le ciel et la terre à la fois. Ce neantmoins, il n’est rien qui bouge de sa place : mes voisins trouvent l’heure de leurs semences, de leur recolte, l’opportunité de leurs negoces, les jours nuisibles et propices, au mesme point justement où ils les avoyent assignez de tout temps. Ny l’erreur ne se sentoit en nostre usage, ny l’amendement ne s’y sent. Tant il y a d’incertitude par tout, tant nostre apercevance est grossiere, obscure et obtuse. On dict que ce reiglement se pouvoit conduire d’une façon moins incommode : soustraiant, à l’exemple d’Auguste, pour quelques années le jour du bissexte, qui ainsi comme ainsin est un jour d’empeschement et de trouble, jusques à ce qu’on fut arrivé à satisfaire exactement ce debte (ce que mesme on n’a pas faict par cette correction, et demeurons encores en arrerages de quelques jours). Et si par mesme moyen on pouvoit prouvoir à l’advenir, ordonnant qu’apres la revolution de tel ou tel nombre d’années ce jour extraordinaire seroit tousjours eclipsé, si que nostre mesconte ne pourroit dores en avant exceder vingt et quatre heures. Nous n’avons autre compte du temps que les ans. Il y a tant de siecles que le monde s’en sert ; et si, c’est une mesure que nous n’avons encore achevé d’arrester, et telle, que nous doubtons tous les jours quelle forme les autres nations luy ont diversement donné, et quel en estoit l’usage. Quoy, ce que disent aucuns, que les cieux se compriment vers nous en vieillissant, et nous jettent en incertitude des heures mesme et des jours ? et des moys, ce que dict Plutarque, qu’encore de son temps l’astrologie n’avoit sçeu borner le