Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 3.djvu/269

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point qui tiennent moins ce qu’elles promettent. Et en nostre temps, ceux qui font profession de ces arts entre nous en montrent moins les effects que tous autres hommes. On peut dire d’eus pour le plus, qu’ils vendent les drogues medecinales ; mais qu’ils soyent medecins, cela ne peut on dire. J’ay assez vescu, pour mettre en compte l’usage qui m’a conduict si loing. Pour qui en voudra gouster, j’en ay faict l’essay, son eschançon. En voicy quelques articles, comme la souvenance me les fournira. (Je n’ay point de façon qui ne soit allée variant selon les accidents, mais j’enregistre celles que j’ay plus souvent veu en train, qui ont eu plus de possession en moy jusqu’à cette heure.) Ma forme de vie est pareille en maladie comme en santé : mesme lict, mesmes heures, mesmes viandes me servent, et mesme breuvage. Je n’y adjouste du tout rien, que la moderation du plus et du moins, selon ma force et appetit. Ma santé, c’est maintenir sans destourbier mon estat accoustumé. Je voy que la maladie m’en desloge d’un costé ? si je crois les medecins, ils m’en destourneront de l’autre : et par fortune et par art, me voylà hors de ma route. Je ne croys rien plus certainement que cecy : que je ne sçauroy estre offencé par l’usage des choses que j’ay si long temps accoustumées. C’est à la coustume de donner forme à nostre vie, telle qu’il lui plaist ; elle peut tout en cela : c’est le breuvage de Circé, qui diversifie nostre nature comme bon luy semble. Combien de nations, et à trois pas de nous, estiment ridicule la crainte du serain, qui nous blesse si apparemment ; et nos bateliers et nos paysans s’en moquent. Vous faites malade un Aleman de le coucher sur un matelas, comme un Italien sur la plume, et un François sans rideau et sans feu. L’estomac d’un Espagnol ne dure pas à nostre forme de manger, ny le nostre à boire à la Souysse. Un Aleman me fit plaisir, à Auguste, de combatre l’incommodité de noz fouyers par ce mesme argument dequoy nous nous servons ordinairement à condamner leurs poyles. Car à la verité, cette chaleur croupie, et puis la senteur de cette matiere reschauffée dequoy