Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 3.djvu/73

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oncques puis ses nopces à masle quelconque, et la femme de Hieron, qui ne sentoit pas son mary punais, estimant que ce fut une commune qualité à tous hommes. Il faut qu’elles deviennent insensibles et invisibles pour nous satisfaire. Or, confessons que le neud du jugement de ce devoir gist principallement en la volonté. Il y a eu des maris qui ont souffert cet accident, non seulement sans reproche et offence envers leurs femmes, mais avec singuliere obligation et recommandation de leur vertu. Telle, qui aymoit mieux son honneur que sa vie, l’a prostitué à l’appetit forcené d’un mortel ennemy pour sauver la vie à son mary, et a faict pour luy ce qu’elle n’eust aucunement faict pour soy. Ce n’est pas icy le lieu d’estendre ces exemples : ils sont trop hauts et trop riches pour estre representez en ce lustre, gardons les à un plus noble siege. Mais, pour des exemples de lustre plus vulgaire, est il pas tous les jours des femmes qui, pour la seule utilité de leurs maris, se prestent, et par leur expresse ordonnance et entremise ? Et anciennement Phaulius l’Argien offrit la sienne au Roy Philippus par ambition ; tout ainsi que par civilité ce Galba, qui avoit donné à souper à Mecenas, voyant que sa femme et luy commancoient à comploter par oeuillades et signes, se laissa couler sur son coussin, representant un homme aggravé de sommeil, pour faire espaule à leur intelligence. Et l’advoua d’assez bonne grace ; car, sur ce point, un valet ayant pris la hardiesse de porter la main sur les vases qui estoient sur la table, il luy cria : Vois tu pas, coquin, que je ne dors que pour Mecenas ? Telle a les meurs desbordées, qui a la volonté plus reformée que n’a cet’autre qui se conduit soubs une apparence reiglée. Comme nous en voyons qui se plaignent d’avoir esté vouées à chasteté avant l’aage de cognoissance, j’en ay veu aussi se plaindre veritablement d’avoir esté vouées à la desbauche avant l’aage de cognoissance ; le vice des parens en peut estre cause, ou la force du besoing, qui est un rude conseillier. Aus Indes orientales, la chasteté y estant en singuliere recommandation, l’usage pourtant souffroit qu’une femme mariée se peut abandonner à qui luy presentoit un elephant ; et cela avec quelque gloire d’avoir esté estimée à si haut pris. Phedon le philosophe, homme de maison, apres la prinse de son païs d’Elide, fit mestier de prostituer, autant qu’elle dura, la beauté de sa jeunesse à qui en volut à pris d’argent, pour en vivre. Et Solon fut le premier en la Grece, dict on, qui, par ses loix, donna liberté aux femmes aux despens de leur pudicité de pourvoir au besoing de leur vie, coustume que Herodote dict avoir esté receue avant luy en plusieurs polices. Et puis quel fruit de cette penible solicitude ? car, quelque justice qu’il y ait en cette passion, encores faudroit il voir si elle nous charrie utilement. Est-il quelqu’un qui les pense boucler par son industrie ?

Pone seram, cohibe ; sed quis custodiet ipsos Custodes ?
Cauta est, et ab illis incipit uxor.

Quelle commodité ne leur est suffisante en un siecle si sçavant ?