Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/136

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ineptes à verifier ce qu’il veut, et entreprennent de les choquer aysément. Il faut secouer ceux cy vn peu plus rudement : car ils sont plus dangereux et plus malitieux que les premiers. On couche volontiers les dicts d’autruy à la faueur des opinions qu’on a preiugées en soy. À vn atheïste tous escrits tirent à l’atheïsme. Il. infecte de son propre venin la matiere innocente. Ceux cy ont quelque preoccupation de iugement qui leur rend le goust fade aux raisons de Sebonde. Au demeurant il leur semble qu’on leur donne beau ieu, de les mettre en liberté de combattre nostre religion par les armes pures humaines, laquelle ils n’oseroyent attaquer en sa majesté pleine d’authorité et de commandement. Le moyen que ie prens pour rabatre cette frenesie, et qui me semble le plus propre, c’est de froisser et fouler aux pieds l’orgueil, et l’humaine fierté : leur faire sentir l’inanité, la vanité, et deneantise de l’homme : leur arracher des poingts, les chetiues armes de leur raison : leur faire baisser la teste et mordre la terre, soubs l’authorité et reuerence de la majesté diuine. C’est à elle senle qu’appartient la science et la sapience : elle seule qui peut estimer de soy quelque chose, et à qui nous desrobons ce que nous nous contons, et ce que nous nous prisons.

Οὐ γὰρ ἐᾶ φρονέεν ὁ θεὸς μέγα ἄλλον ἤ ἔαυτον.

Abbattons ce cuider, premier fondement de la tyrannie du maling esprit. Deus superbis resistit : humilibus autem dat gratiam. L’intelligence est en touts les Dieux, dit Platon, et point ou peu aux hommes. Or c’est cependant beaucoup de consolation à l’homme Chrestien, de voir nos vtils mortels et caduques, si proprement assortis à nostre foy saincte et diuine : que lors qu’on les employe aux suiects de leur nature mortels et caduques, ils n’y soient pas appropriez plus vniement, ny auec plus de force.Voyons donq si l’homme a en sa puissance d’autres raisons plus fortes que celles de Sebonde : voire s’il est en luy d’arriuer à aucune certitude par argument et par discours. Car sainct Augustin plaidant contre ces gents icy, a occasion de reprocher leur iniustice, en ce qu’ils tiennent les parties de nostre creance fauces, que nostre raison faut à establir. Et pour montrer qu’assez de choses peuuent estre et auoir esté, desquelles nostre discours ne sçauroit fonder la nature et les causes il leur met en auant certaines experiences cognuës et indubitables, ausquelles l’homme confesse rien ne veoir. Et cela faict il, comme toutes autres choses, d’vne curieuse et ingenieuse recherche. Il faut plus faire, et leur apprendre, que pour conuaincre la foiblesse de leur raison, il n’est besoing d’aller triant des rares exemples : et qu’elle est si manque et si aueugle, qu’il n’y a nulle si claire facilité, qui luy soit assez claire : que l’aizé et le