Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/138

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malaisé luy sont vn que tous subiects egalement, et la nature en general desaduouë sa iurisdiction et entremise.Que nous presche la verité, quand elle nous presche de fuir la mondaine philosophie : quand elle nous inculque si souuent, que nostre sagesse n’est que folie deuant Dieu que de toutes les vanitez la plus vaine c’est l’homme que l’homme qui presume de son sçauoir, ne sçait pas encore que c’est que sçauoir : et que l’homme, qui n’est rien, s’il pense estre quelque chose, se seduit soy-mesmes, et se trompe ? Ces sentences du sainct Esprit expriment si clairement et si viuement ce que ie veux maintenir, qu’il ne me faudroit aucune autre preuue contre des gens qui se rendroient auec toute submission et obeyssance à son authorité. Mais ceux cy veulent estre fouëtez à leurs propres despens, et ne veulent souffrir qu’on combatte leur raison que par elle mesme.Considerons donq pour cette heure, l’homme seul, sans secours estranger, armé seulement de ses armes, et despourueu de la grace et cognoissance diuine, qui est tout son hon- neur, sa force, et le fondement de son estre. Voyons combien il a de tenuë en ce bel equipage. Qu’il me face entendre par l’effort de son discours, sur quels fondemens il a basty ces grands auantages, qu’il pense auoir sur les autres creatures. Qui luy a persuadé que ce branle admirable de la voute celeste, la lumiere eternelle de ces flambeaux roulans si fierement sur sa teste, les mouuemens espouuentables de cette mer infinie, soyent establis et se continuent tant de siecles, pour sa commodité et pour son seruice ? Est-il possible de rien imaginer si ridicule, que cette miserable et chetiue creature, qui n’est pas seulement maistresse de soy, exposée aux offences de toutes choses, se die maistresse et emperiere de l’vniuers ? duquel il n’est pas en sa puissance de cognoistre la moindre partie, tant s’en faut de la commander. Et ce priuilege qu’il s’attribuë d’estre seul en ce grand bastiment, qui ayt la suffisance d’en recognoistre la beauté et les pieces, seul qui en puisse rendre graces à l’architecte, et tenir conte de la recepte et mise du monde : qui luy a seelé ce priuilege ? qu’il nous montre lettres de cette belle et grande charge. Ont elles esté ottroyées en faueur des sages seulement ? Elles ne touchent guere de gents. Les fols et les meschants sont-ils dignes de faueur si extraordinaire ? et estants la pire piece du monde, d’estre preferez à tout le reste ? en croirons nous cestuy--