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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/152

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mach, où se fait la digestion : noz peres le portoyent descouuert, et noz Dames, ainsi molles et delicates qu’elles sont, elles s’en vont tantost entr’ouuertes iusques au nombril. Les liaisons et emmaillottemens des enfans ne sont non plus necessaires : et les meres Lacedemoniennes esleuoient les leurs en toute liberté de mouvements de membres, sans les attacher ne plier. Nostre pleurer est commun à la plus part des autres animaux, et n’en est guere qu’on ne voye se plaindre et gemir long temps apres leur naissance : d’autant que c’est vne contenance bien sortable à la foiblesse, en quoy ils se sentent. Quant à l’vsage du manger, il est en nous, comme en eux, naturel et sans instruction.

Sentit enim vim quisque suam quam possit abuti.

Qui fait doute qu’vn enfant arriué à la force de se nourrir, ne sceut quester sa nourriture ? et la terre en produit, et luy en offre assez pour sa necessité, sans autre culture et artifice. Et sinon en tout temps, aussi ne fait elle pas aux bestes, tesmoing les prouisions, que nous voyons faire aux fourmis et autres, pour les saisons steriles de l’année.Ces nations, que nous venons de descouurir, si abondamment fournies de viande et de breuuage naturel, sans soing et sans façon, nous viennent d’apprendre que le pain n’est pas nostre seule nourriture : et que sans labourage, nostre mere Nature nous auoit munis à planté de tout ce qu’il nous falloit : voire, comme il est vray-semblable, plus plainement et plus richement qu’elle ne fait à present, que nous y auons meslé nostre artifice :

Et tellus nitidas fruges, vinetáque læta
Sponte sua primùm mortalibus ipsa creauit ;
Ipsa dedit dulces foetus, et pabula læta ;
Quæ nunc vix nostro grandescunt aucta labore,
Conterimusque boues et vires agricolarum ;

le débordement et desreglement de nostre appetit denançant toutes les inuentions, que nous cherchons de l’assounir.Quant aux armes, nous en auons plus de naturelles que la plus part des autres animaux, plus de diuers mouuemens de membres, et en tirons plus de seruice naturellement et sans leçon : ceux qui sont duicts à combatre nuds, on les void se ietter aux hazards pareils aux nostres. Si quelques bestes nous surpassent en cet auantage, nous en surpassons plusieurs autres. Et l’industrie de fortifier le corps et le couurir par moyens acquis, nous l’auons par vn instinct et precepte naturel.