Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/156

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premierement à nous, et que nous le facions sonner au dedans à nos oreilles, auant que de l’enuoyer aux estrangeres.I’ay diet tout cecy, pour maintenir cette ressemblance, qu’il y a aux choses humaines et pour nous ramener et ioindre à la presse. Nous ne sommes ny au dessus, ny au dessous du reste tout ce qui est sous le ciel, dit le sage, court vne loy et fortune pareille.

Indupedita suis fatalibus omnia vinclis.

Il y a quelque difference, il y a des ordres et des degrez : mais c’est soubs le visage d’vne mesme nature :

Res quæque suo ritu procedit, et omnes
Fœdere naturæ certo discrimina seruant.

Il faut contraindre l’homme, et le renger dans les barricres de cette police. Le miserable n’a garde d’eniamber par effect au delà : il est entraué et engagé, il est assubiecty de pareille obligation que les autres creatures de son ordre, et d’vne condition fort moyenne, sans aucune prerogatiue, præexcellence vraye et essentielle. Celle qu’il se donne par opinion, et par fantasie, n’a ny corps ny goust. Et s’il est ainsi, que luy seul de tous les animaux, ayt cette liberté de l’imagination, et ce desreglement de pensées, luy representant ce qui est, ce qui n’est pas ; et ce qu’il veut ; le faulx et le veritable ; c’est vn aduantage qui luy est bien cher vendu, et duquel il a bien peu à se glorifier : car de là naist la source principale des maux qui le pressent, peché, maladie, irresolution, trouble, desespoir.Ie dy donc, pour reuenir à mon propos, qu’il n’y a point d’apparence d’estimer, que les bestes facent par inclination naturelle et forcée, les mesmes choses que nous faisons par nostre choix et industrie. Nous deuons conclurre de pareils effects, pareilles facultez, et de plus riches effects des facultez plus riches : et confesser par consequent, que ce mesme discours, cette mesme voye, que nous lenons à œuurer, aussi la tiennent les animaux, ou quelque autre meilleure.Pourquoy imaginons nous en eux cette contrainte naturelle, nous qui n’en esprouuons aucun pareil effect ? Ioint qu’il est plus honorable d’estre acheminé et obligé à reglément agir par naturelle et ineuitable condition, et plus approchant de la diuinité, que d’agir reglément par liberté temeraire et for-