Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/168

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les guidoit, et y auoit plaisir à ouyr cette harmonie. Aux spectacles de Rome, il se voyoit ordinairement des elephans dressez à se mouuoir et dancer au son de la voix, des dances à plusieurs entrelasseures, coupeures et diuerses cadances tres-difficiles à apprendre. Il s’en est veu, qui en leur priué rememoroient leur leçon, et s’exerçoyent par soing et par estude pour n’estre tancez et battuz de leurs maistres.Mais cett’autre histoire de la pie, de laquelle nous auons Plutarque mesme pour respondant, est estrange. Elle estoit en la boutique d’vn barbier à Rome, et faisoit merueilles de contrefaire auec la voix tout ce qu’elle oyoit. Vn iour il aduint que certaines trompettes s’arresterent à sonner long temps deuant cette boutique depuis cela et tout le lendemain, voyla cette pie pensiue, muette et melancholique ; dequoy tout le monde estoit esmerueillé, et pensoit-on que le son des trompettes l’eust ainsin estourdie et estonnée ; et qu’auec l’ouye, la voix se fust quant et quant esteinte. Mais on trouua en fin, que c’estoit vne estude profonde, et vne retraicte en soy-mesmes, son esprit s’exercitant et preparant sa voix, à representer le son de ces trompettes de maniere que sa premiere voix ce fut celle là, d’exprimer parfaictement leurs reprises, leurs poses, et leurs muances ; ayant quicté par ce nouuel apprentissage, et pris à desdain tout ce qu’elle sçauoit dire auparauant.Ie ne veux pas obmettre d’alleguer aussi cet autre exemple d’vn chien, que ce mesme Plutarque dit auoir veu (car quant à l’ordre, ie sens bien que ie le trouble, mais ie n’en obserue non plus à renger ces exemples, qu’au reste de toute ma besongne) luy estant dans vn nauire, ce chien estant en peine d’auoir l’huyle qui estoit dans le fond d’vne cruche, où il ne pouuoit arriuer de la langue, pour l’estroite emboucheure du vaisseau, alla querir des cailloux, et en mit dans cette cruche iusques à ce qu’il eust faict hausser l’huyle plus pres du bord, où il la peust atteindre. Cela qu’est-ce, si ce n’est l’effect d’vn esprit bien subtil ? On dit que les corbeaux de Barbarie en font de mesme, quand l’eau qu’ils veulent boire est trop basse.Cette action est aucunement voisine de ce que recitoit des elephans, vn Roy de leur nation, Iuba ; que quand par la finesse de ceux qui les chassent, I’vn d’entre eux se trouue pris dans certaines fosses profondes qu’on leur prepare, et les recouure lon de menues brossailles pour les tromper, ses compa- gnons y apportent en diligence force pierres, et pieces de bois, afin que cela l’ayde à s’en mettre hors. Mais cet animal rapporte en tant d’autres effects à l’humaine suffisance, que si ie vouloy suiure