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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/203

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il a voulu qu’il regardât le ciel et put contempler les astres (Ovide). » Plusieurs bestioles en effet ont la vue complètement dirigée vers le ciel, et je trouve que les chameaux et les autruches ont l’encolure encore plus relevée et plus droite que nous ne l’avons. Existe-t-il des animaux qui n’aient pas la face placée au haut et en avant du corps et, tout comme nous, ne regardent pas droit devant eux ; qui, dans leur attitude habituelle, n’aperçoivent pas une étendue du ciel et de la terre égale à celle que le regard de l’homme peut embrasser ? Quelles qualités avons-nous, de par notre constitution physique, décrites par Platon et par Cicéron, qui ne soient l’apanage de mille sortes de bêtes ? Parmi les animaux, ceux avec lesquels nous avons le plus de ressemblance, sont les plus laids et les plus abjects, car ce sont le singe, pour ce qui est de l’apparence extérieure et de la forme du visage : « Tout difforme qu’il est, le singe nous ressemble (Ennius) », et le porc, en ce qui touche notre organisation intérieure et les parties vitales.

L’homme a plus de raison que tout autre animal de couvrir sa nudité, tant il a d’imperfections dans son corps. — Quand, m’imaginant l’homme complètement nu et que, notamment dans le sexe auquel semble plus particulièrement dévolue la beauté, je considère ses défectuosités, les exigences auxquelles il est astreint de par la nature, ses imperfections, je trouve qu’en vérité, plus que tout autre animal, nous avons eu raison de couvrir notre nudité. Nous sommes bien excusables d’en emprunter les moyens à ceux qu’à cet égard, la nature a favorisés plus que nous et de nous parer de leur beauté, nous cachant sous leurs dépouilles, qu’elles soient laine, plume, fourrure ou soie. Remarquons encore que l’homme est le seul animal chez lequel cette imperfection soit choquante pour ses semblables, le seul qui se dérobe à la vue de ceux de son espèce, quand il veut satisfaire aux actes que lui impose la nature. N’est-ce pas aussi un fait qui mérite considération que de voir les maîtres en la question, ordonner comme remède contre les passions érotiques, la vue complète et sans voile du corps à la possession duquel nous portent nos désirs et que, pour refroidir en nous l’amour, il nous suffise de voir en toute liberté qui en est l’objet : « Il en est qui, pour avoir vu à découvert les parties secrètes de l’objet aimé, ont senti s’éteindre leur passion au moment le plus vif de leurs transports (Ovide). » Bien que cette recette émane probablement de quelqu’un de sentiment un peu délicat et qui renaît au calme, ce n’en est pas moins une preuve manifeste de notre imperfection, que l’usage et la connaissance nous dégoûtent les uns des autres. Ce n’est pas tant la pudeur que le savoir-faire et la prudence, qui rend nos dames si circonspectes et les porte à nous refuser l’entrée de leurs cabinets de toilette, tant qu’elles ne sont ni fardées, ni parées, prêtes à paraître en public : « Elles n’y manquent pas, et ont grandement raison de défendre l’accès de ces arrière-scènes de la vie aux amants qu’elles veulent retenir sous leur joug (Lucrèce) » ; alors que chez certains animaux, il n’est rien que nous