Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/224

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D’vne pareille resuerie à celle de Thrasylaus, fils de Pythodorus, qui se faisoit à croire que tous les nauires qui relaschoient du port de Pyrée, et y abordoient, ne trauailloyent que pour son seruice : se resiouyssant de la bonne fortune de leur nauigation, les recueillant auec ioye. Son frere Crito l’ayant faict remettre en son meilleur sens, il regrettoit cette sorte de condition, en laquelle il auoit vescu en liesse, et deschargé de tout desplaisir. C’est ce que dit ce vers ancien Grec, qu’il y a beaucoup de commodité à n’estre pas si aduisé :

’Εν τῶ φρονεῖν γὰρ μηδεν ἥδιοτος βίος.

Et l’Ecclesiaste ; En beaucoup de sagesse, beaucoup de desplaisir : et, Qui acquiert science, s’acquiert du trauail et tourment. Cela mesme, à quoy la Philosophie consent en general, cette derniere recepte qu’elle ordonne à toute sorte de necessitez, qui est de mettre fin à la vie, que nous ne pouuons supporter : Placet ? pare. Non placet ? quacumque vis exi. Pungit dolor ? vel fodiat sane ? si nudus es, da iugulum : sin tectus armis Vulcanijs, id est fortitudine, resiste : et ce mot des Grecs conuiues qu’ils y appliquent, Aut bibat, aut abeat : qui sonne plus sortablement en la langue d’vn Gascon, qu’en celle de Ciceron, qui change volontiers en V. le B :

Viuere si rectè nescis, decede peritis.
Lusisti satis, edisti satis, atque bibisti :
Tempus abire tibi esl, ne potum largius æquo
Rideat, et pulset lasciua decentius ætas.

qu’est-ce autre chose qu’vne confession de son impuissance ; et vn renuoy, non seulement à l’ignorance, pour y estre à couuert, mais à la stupidité mesme, au non sentir, et au non estre ?

Democritum postquàm matura vetustas
Admonuit memorem, motus languescere mentis :
Sponte sua letho caput obuius obtulit ipse.

C’est ce que disoit Antisthenes, qu’il falloit faire prouision ou de sens pour entendre, ou de licol pour se pendre : et ce que Chrysippus alleguoit sur ce propos du poëte Tyrtæus,

De la vertu, ou de mort approcher.

Et Crates disoit, que l’amour se guerissoit par la faim, sinon par le temps et à qui ces deux moyens ne plairoyent, par la hart. Celuy Sextius, duquel Seneque et Plutarque parlent auec si grande recommandation, s’estant ietté, toutes choses laissées, à l’estude de la philosophie, delibera de se precipiter en la mer, voyant le pro-