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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/258

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iugeant que la cognoissance de cette cause premiere, et estre des estres, deuoit estre indefinie, sans prescription, sans declaration : que ce n'estoit autre chose, que l'extreme effort de nostre imagination, vers la perfection: chacun en amplifiant l'idée selon sa capacité.Mais si Numa entreprint de conformer à ce proiect la deuotion de son peuple: l'attacher à vne religion purement mentale, sans obiect prefix, et sans meslange materiel : il entreprint chose de nul vsage. L'esprit humain ne se sçauroit maintenir vaguant en cet infini de pensées informes: il les luy faut compiler a certaine image à son modelle. La majesté diuine s'est ainsi pour nous aucunement laissé circonscrire aux limites corporels. Ses sacrements supernaturels et celestes, ont des signes de nostre terrestre condition. Son adoration s'exprime par offices et paroles sensibles: car c'est l'homme, qui croid et qui prie. le laisse à part les autres arguments qui s'employent à ce subiect. Mais à peine me feroit on accroire, que la veuë de noz crucifix, et peinture de ce piteux supplice, que les ornements et mouuements ceremonieux de noz eglises, que les voix accommodées à la deuotion de nostre pensée, et cette esmotion des sens n'eschauffent l'ame des peuples, d'vne passion religieuse, de tres-vtile effect.De celles ausquelles on a donné corps comme la necessité l'a requis, parmy cette cecité vniuerselle, ie me fusse, ce me semble, plus volontiers attaché à ceux qui adoroient le soleil,

La lumiere commune,
L'ail du monde : et si Dieu au chef porte des yeux,
Les rayons du soleil sont ses yeux radieux,
Qui donnent vie à tous, nous maintiennent et gardent,
Et les faicts des humains en ce monde regardent :
Ce beau, ce grand soleil, qui nous faict les saisons,
Selon qu'il entre ou sort de ses douze maisons :
Qui remplil l'vniuers de ses vertus cognues :
Qui d'vn traict de ses yeux nous dissipe les nuës :
L'esprit, l'ame du monde, ardant et flamboyanı,
En la course d'vn iour tout le ciel tournoyant,
Plein d'immense grandeur, rond, vagabond et ferme:
Lequel tient dessoubs luy tout le monde pour terme :
En repos sans repos, oysif, et sans seiour,
Fils aisné de nature, et le pere du iour.

D'autant qu'outre cette sienne grandeur et beauté, c'est la piece de cette machine, que nous descouurons la plus esloignée de nous : et par ce moyen si peu cognuë, qu'ils estoyent pardonnables, d'en entrer en admiration et reuerence.Thales, qui le premier s'en-