Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/273

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aux mânes de Pallas (Virgile). » — Les Gètes se considéraient comme immortels et, pour eux, mourir était simplement s’acheminer vers leur dieu Zamolxis. Tous les cinq ans, ils dépêchaient vers lui l’un d’entre eux, pour lui demander les choses nécessaires à la vie. Ce député était tiré au sort et sa mise en route s’effectuait ainsi qu’il suit Après que ceux auxquels ce soin était dévolu, lui avaient fait connaître verbalement ce dont il avait commission, trois d’entre eux tenaient dressées la pointe en avant, autant de javelines, sur lesquelles les autres, le saisissant, le précipitaient avec force. S’il venait à s’enferrer de telle sorte qu’atteint mortellement, il mourût sur-le-champ, c’était un signe certain que leur dieu était favorablement disposé ; s’il en échappait, c’était que le messager était mauvais, exécrable ; et ils en dépêchaient un autre en procédant de la même façon. — Amestris, mère de Xerxès, devenue vicille, fit, en une seule fois, ensevelir vivants quatorze jeunes gens des meilleures familles de Perse, suivant les coutumes religieuses du pays, pour se concilier quelque dieu habitant au sein de la terre. — Aujourd’hui encore les idoles de Themixtitan se construisent en cimentant avec le sang de jeunes enfants les matières qui entrent dans leur composition, et elles n’agréent de sacrifice que ceux où ces petits êtres sans tache servent de victimes ; quelle justice altérée du sang de l’innocence ! « Combien la superstition a pu conseiller de crimes (Lucrèce) ! » — Les Carthaginois immolaient leurs propres enfants à Saturne ; ceux qui n’en avaient pas, en achetaient, et le père et la mère étaient tenus d’assister à cet holocauste et d’y avoir une contenance gaie, témoignant du contentement.

C’était une idée étrange que de vouloir reconnaitre les bonnes grâces des cieux en nous infligeant des souffrances, comme faisaient les Lacédémoniens qui, pour être agréables à leur Diane, martyrisaient de jeunes garçons en les faisant fouetter en son honneur, parfois jusqu’à la mort. C’était un sentiment barbare que de chercher à complaire à l’architecte en détruisant son œuvre ; comme aussi, pour épargner aux coupables la peine qu’ils méritaient, de frapper des innocents, ainsi qu’il arriva dans le port d’Aulis à cette infortunée Iphigénie, immolée pour racheter par sa mort les offenses que l’armée des Grecs avait commises envers les dieux : « Chaste et malheureuse victime qui, au moment même de son hymen, fut sacrifiée par la main criminelle d’un père (Lucrèce) ! » Et les deux Décius, père et fils, à l’âme si belle, si généreuse, allant, pour attirer la faveur divine sur les intérêts de Rome, se jeter à corps perdu au plus épais des ennemis : « Combien grande cette iniquité des dieux, de ne consentir à être favorables au peuple romain qu’au prix du sang de tels hommes (Cicéron) ! »

Prétendre satisfaire à la justice divine en choisissant soi-même son expiation, est une dérision ; ce n’est pas au criminel à fixer le châtiment qu’il doit subir. — Ajoutons que ce n’est point au criminel à se faire fouetter, quand et dans la mesure où cela lui convient ; c’est au juge d’en ordonner, en ne