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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/311

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de faiblesse et de défaillance, à laquelle ils soumettent tout ce qu’ils essaient.

Par quoi pouvons-nous mieux éprouver la raison que par elle-même ? Si nous ne pouvons l’en croire quand elle parle d’elle, elle n’est guère propre à apprécier ce qui n’est pas elle. Si elle est capable de connaître quelque chose, ce doit être au moins ce qu’elle est et où elle loge, puisqu’elle est en notre âme, dont elle fait partie ou dont elle est un effet. Il n’est pas question ici de la raison par excellence, la seule vraie, dont nous appliquons le nom si mal à propos : celle-ci réside dans le sein de Dieu, c’est là son gite et sa retraite ; c’est de là qu’elle émane, quand il plaît à Dieu de nous en envoyer quelque rayon, telle Pallas sortant du cerveau de Jupiter, quand elle se communiqua au monde.

Que nous apprend-elle par exemple de l’âme ? À chaque philosophe, elle inspire une solution différente ; cette divergence et les extravagants systèmes de quelques-uns démontrent bien la vanité des recherches philosophiques. — Voyons donc ce que la raison humaine nous apprend sur elle-même et sur l’âme ; non sur l’âme en général, dont presque tous les philosophes dotent les corps célestes et ceux d’où dérivent les autres ; ni sur celle que Thalès attribue même aux choses qu’on tient comme inanimées et auxquelles il a été amené à en attribuer une, en considérant ce qui se produit dans l’aimant ; mais sur celle qui est en nous et que nous devons mieux connaître : « On ne connaît pas la nature de l’âme : naît-elle avec le corps, ou au contraire y est-elle introduite au moment de la naissance ? périt-elle avec lui, va-t-elle visiter les sombres abîmes, ou passe-t-elle, par l’ordre des dieux, dans le corps des animaux (Lucrèce) ? »

À Cratès et à Dicéarque, la raison avait appris que l’âme n’existe absolument pas, et que le corps s’anime par le seul fait de l’action de la nature ; à Platon, que c’est une substance qui porte en elle-même sa propre mise en mouvement ; à Thalès, qu’elle est une nature sans cesse en travail ; à Asclepiade, le résultat du fonctionnement de nos sens ; à Hésiode et à Anaximandre, un composé de terre et d’eau ; à Parménide, de terre et de feu ; à Empédocle, de sang : « Il vomit son âme de sang (Virgile) » ; à Posidonius, Cléanthe et Galien, un foyer ou une sorte de flamme : « Les âmes ont la vigueur du feu et une origine céleste (Virgile) » ; à Hippocrate, un esprit répandu dans le corps ; à Varron, de l’air pénétrant par la bouche, s’échauffant dans les poumons, se purifiant dans le cœur et se répandant par tout le corps ; à Zénon, la quintessence des quatre éléments ; à Héraclide du Pont, de la lumière ; à Xénocrate et aux Égyptiens, un coefficient variable ; aux Chaldéens, une propriété sans forme déterminée : « Une certaine habitude vitale du corps, que les Grecs appellent Harmonie (Lucrèce). » N’oublions pas Aristote d’après lequel l’âme est ce qui fait naturellement mouvoir le corps, il la nomme Entelechie (Perfection), sans plus s’étendre sur sa provenance que sur celle de tout autre de nos organes, ne