tie : nous sommes capables de sagesse, et sommes parties du monde : il est donc sage. Il se void infinis pareils exemples, non d’argumens faux seulement, mais ineptes, ne se tenans point, et accusans leurs autheurs non tant d’ignorance que d’imprudence, és reproches que les philosophes se font les vns aux autres sur les dissentions de leurs opinions, et de leurs sectes.Qui fagoteroit suffisamment vn amas des asneries de l’humaine sapience, il diroit merueilles. I’en assemble volontiers, comme vne montre, par quelque biais non moins vtile que les instructions plus moderees. Iugeons par là ce que nous auons à estimer de l’homme, de son sens et de sa raison, puis qu’en ces grands personnages, et qui ont porté si haut l’humaine suffisance, il s’y trouue des deffauts si apparens et si grossiers.Moy i’aime mieux croire qu’ils ont traitté la science casuelement ainsi, qu’vn iouët à toutes mains, et se sont esbatus de la raison, comme d’vn instrument vain et friuole, mettans en auant toutes sortes d’inuentions et ae fantasies tantost plus tenduës, tantost plus lasches. Ce mesme Platon, qui definit l’homme comme vne poulle, dit ailleurs apres Socrates, qu’il ne sçait à la verité que c’est que l’homme, et que c’est l’vne des pieces du monde d’autant difficile cognoissance. Par cette varieté et instabilité d’opinions, ils nous menent comme par la main tacitement à cette resolution de leur irresolution. Ils font profession de ne presenter pas tousiours leur auis à visage descouuert et apparent : ils l’ont caché tantost soubs des vmbrages fabuleux de la poësie, tantost soubs quelque autre masque : car nostre imperfection porte encores cela, que la viande crue n’est pas tousiours propre à nostre estomach : il la faut assecher, alterer et corrompre. Ils font de mesmes : ils obscurcissent par fois leurs naïfues opinions et iugemens, et les falsifient pour s’accommoder à l’vsage publique. Ils ne veulent pas faire profession expresse d’ignorance, et de l’imbecillité de la raison humaine, pour ne faire peur aux enfans : mais ils nous la descouurent assez soubs l’apparence d’vne science trouble et inconstante.Ie conseillois en Italie à quelqu’vn qui estoit en peine de parler Italien, que pourueu qu’il ne cherchast qu’à se faire entendre, sans y vouloir autrement exceller, qu’il employast seulement les premiers mots qui luy viendroyent à la bouche, Latins, François, Espagnols, ou Gascons, et qu’en y adioustant la terminaison Italienne, il ne faudroit iamais à rencontrer quelque idiome du pays, ou Thoscan, ou Romain, ou Venetien, ou Piemontois, ou Napolitain, et de se ioindre à quelqu’vne de tant de formes. Ie dis de
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