Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/320

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Deum namque ire per omnes
Terrásque, tractúsque maris, colúmque profundum :
Hinc pecudes, armenta, viros, genus omne ferarum,
Quemque sibi tenues nascentem arcessere vitas :
Scilicet huc reddi deinde, ac resoluta referri
Omnia : nec morti esse locum :

d’autres, qu’elles ne faisoyent que s’y resioindre et r’attacher : d’autres, qu’elle estoyent produites de la substance diuine : d’autres, par les anges, de feu et d’air. Aucuns, de toute ancienneté : aucuns, sur l’heure mesme du besoin. Aucuns les font descendre du rond de la lune, et y retourner. Le commun des anciens, qu’elles sont engendrées de pere en fils, d’vne pareille maniere et production que toutes autres choses naturelles argumentants cela par la ressemblance des enfans aux peres,

Instillata patris virtus tibi :
Fortes creantur fortibus et bonis :

et qu’on void escouler des peres aux enfans, non seulement les marques du corps, mais encores vne ressemblance d’humeurs, de complexions, et inclinations de l’ame :

Denique cur acris violentia triste leonum
Seminium sequitur ? dolus vulpibus, et fuga ceruis
A patribus datur, et patrius pauor incitat artus ?
Si non certa suo quia semine seminióque,
Vis animi pariter crescit cum corpore toto ?

que là dessus se fonde la iustice diuine, punissant aux enfans la faute des peres : d’autant que la contagion des vices paternels est aucunement empreinte en l’ame des enfans, et que le desreglement de leur volonté les touche.Dauantage, que si les ames venoyent d’ailleurs, que d’vne suitte naturelle, et qu’elles eussent esté quelque autre chose hors du corps, elles auroyent recordation de leur estre premier ; attendu les naturelles facultez, qui luy sont propres, de discourir, raisonner et se souuenir.

Si in corpus nascentibus insinuatur,
Cur super anteactam ætatem meminesse nequimus,
Nec vestigia gestarum rerum vlla tenemus ?

Car pour faire valoir la condition de nos ames, comme nous voulons, il les faut presupposer toutes sçauantes, lors qu’elles sont en leur simplicité et pureté naturelle. Par ainsin elles eussent esté telles, estans exemptes de la prison corporelle, aussi bien auant que d’y entrer, comme nous esperons qu’elles seront apres qu’elles en seront sorties. Et de ce sçauoir, il faudroit qu’elles se ressouuinssent encore estans au corps, comme disoit Platon, que ce que nous apprenions, n’estoit qu’vn ressouuenir de ce que nous auions sçeu chose que chacun par experience peut maintenir estre fauce. En premier lieu d’autant qu’il ne nous ressouuient iustement que de ce qu’on nous apprend : et que si la memoire faisoit purement son office, aumoins nous suggereroit elle quelque