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Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/322

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traict outre l’apprentissage. Secondement ce qu’elle sçauoit estant en sa pureté, c’estoit vne vraye science, cognoissant les choses comme elles sont, par sa diuine intelligence : là où icy on luy fait receuoir la mensonge et le vice, si on l’en instruit ; en quoy elle ne peut employer sa reminiscence, cette image et conception n’ayant iamais logé en elle. De dire que la prison corporelle estouffe de maniere ses facultez naifues, qu’elles y sont toutes esteintes : cela est premierement contraire à cette autre creance, de recognoistre ses forces si grandes, et les operations que les hommes en sentent en cette vie, si admirables, que d’en auoir conclu cette diuinité et eternité passée, et l’immortalité à venir ;

Nam si tantopere est animi mutata potestas,
Omnis vt actarum exciderit retinentia rerum,
Non, vt opinor, ea ab letho iam longior errat.

En outre, c’est icy chez nous, et non ailleurs, que doiuent estre considerées les forces et les effects de l’ame : tout le reste de ses perfections, luy est vain et inutile : c’est de l’estat present, que doit estre payée et recognue toute son immortalité, et de la vie de l’homme, qu’elle est comtable seulement. Ce seroit iniustice de luy auoir retranché ses moyens et ses puissances, de l’auoir desarmée, pour du temps de sa captiuité et de sa prison, de sa foiblesse et maladie, du temps où elle auroit esté forcée et contrainte, tirer le iugement et vne condemnation de durée infinie et perpetuelle et de s’arrester à la consideration d’vn temps si court, qui est à l’aduenture d’vne ou de deux heures, ou au pis aller, d’vn siecle (qui n’ont non plus de proportion à l’infinité qu’vn instant) pour de ce moment d’interualle, ordonner et establir definitiuement de tout son estre. Ce seroit vne disproportion inique, de tirer vne recompense eternelle en consequence d’vne si courte vie. Platon, pour se sauuer de cet inconuenient, veut que les payements futurs se limitent à la durée de cent ans, relatiuement à l’humaine durée et des nostres assez leur ont donné bornes temporelles.Par ainsin ils iugeoyent, que sa generation suyuoit la commune condition des choses humaines : comme aussi sa vie, par l’opinion d’Epicurus et de Democritus, qui a esté la plus receuë, suyuant ces belles apparences : Qu’on la voyoit naistre ; à mesme que le corps en estoit capable ; on voyoit esleuer ses forces comme les corporelles ; on y recognoissoit la foiblesse de son en-