Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/324

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fance, et auec le temps sa vigueur et sa maturité : et puis sa declination et sa vieillesse, et en fin sa decrepitude :

Gigni pariter cum corpore, et vnà
Crescere sentimus, paritérque senescere mentem.

Ils l’apperceuoient capable de diuerses passions et agitée de plusieurs mouuemens penibles, d’où elle tomboit en lassitude et en douleur, capable d’alteration et de changement, d’allegresse, d’assopissement, et de langueur, subjecte à ses maladies et aux offences, comme l’estomach ou le pied :

Mentem sanari, corpus vt ægrum
Cernimus, et flecti medicina posse videmus :

esblouye et troublée par la force du vin : desmue de son assiette, par les vapeurs d’vne fieure chaude : endormie par l’application d’aucuns medicamens, et reueillée par d’autres.

Corpoream naturam animi esse necesse est,
Corporeis quoniam telis ictuúque laborat.

On luy voyoit estonner et renuerser toutes ses facultez par la seule morsure d’vn chien malade, et n’y auoir nulle si grande fermeté de discours, nulle suffisance, nulle vertu, nulle resolution philosophique, nulle contention de ses forces, qui la peust exempter de la subjection de ces accidens : la saliue d’vn chetif mastin versée sur la main de Socrates, secouër toute sa sagesse et toutes ses grandes et si reglées imaginations, les aneantir de maniere qu’il ne restast aucune trace de sa cognoissance premiere :

Vis........animai
Conturbatur, et......diuisa seorsum
Disiectatur, eodem illo distracta veneno :

et ce venin ne trouuer non plus de resistance en cette ame, qu’en celle d’vn enfant de quatre ans : venin capable de faire deuenir toute la philosophie, si elle estoit incarnée, furieuse et insensée : si que Caton, qui tordoit le col à la mort mesme et à la fortune, ne peust souffrir la veuë d’vn miroir, ou de l’eau, accablé d’espouuantement et d’effroy, quand il seroit tombé par la contagion d’vn chien enragé, en la maladie que les medecins nommeut Hydroforbie.

Vis morbi distracta per artus
Turbat agens animam, spumantes æquore salso
Ventorum vt validis feruescunt viribus vndæ.

Or quant à ce poinct, la philosophie a bien armé l’homme pour la souffrance de tous autres accidens, ou de patience, ou si elle couste trop à trouuer, d’vne deffaitte inffallible, en se desrobant tout à faict du sentiment : mais ce sont moyens, qui seruent à vne ame estant à soy, et en ses forces, capable de discours et de deliberation non pas à cet inconuenient, où chez vn philosophe, vne ame deuient l’ame d’vn fol, troublée, renuersée, et perdue. Ce que plusieurs occasions produisent, comme vne agitation trop vehemente, que, par quelque forte passion, l’ame peut engendrer en soy-mesme ou vne blessure en certain endroit de la personne : ou vne exhalation de l’estomach, nous iectant à vn esblouyssement et tournoyement de teste :

Morbis in corporis auius errat
Sæpe animus ; dementit enim, deliráque fatur

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